La première partie de cet entretien a été publiée ici.Mourad : Où j’en étais ? Ah oui, du coup j’ai demandé aux éléments (
du régime) de donner leurs armes. Ils m’ont dit «
comment ça donner nos armes, mon oncle », ils vont détruire nos maisons, nous exécuter. J’ai répondu qu’ils allaient prendre d’assaut le commissariat, et que nous allions tous mourir si le conflit éclatait… L'officier a appelé le commandant de police à Idlib, qui lui a dit «
comment ça rendre les armes ?! Ca va pas ?! » Le policier de Bdana lui a dit «
mais ils vont nous tuer, ils ont pris le commissariat de Zaayniya et ils vont prendre celui-ci aussi ! ». Le commandant de police a raccroché, il n’a pas voulu répondre. Le policier a appelé quelqu’un d’autre, et pareil pas de réponse… Personne ne voulait répondre. Alors il m’a dit «
mon oncle, en quoi ça me regarde tout ça, tiens prends les armes ». Ils ont donné leurs armes comme ça !
J'ai dit aux policiers de venir dormir chez nous, les gens du village, ce soir-là. «
Laissez les choses en l’état et demain à l’aube prenez le train ou le bus et partez d’ici ». Qu’ils rentrent dormir, c’était la nuit, il était plus de 23h ! Alors, ils sont venus. L’un d’entre eux, alaouite et connu pour sa cruauté, s’est mis à pleurer de peur. Il avait deux pistolets, des munitions et un fusil. J’ai pris le fusil, j’avais une mobylette, alors j’ai mis le fusil dans son petit coffre. J’ai voulu lui enlever le pistolet mais il était noué de manière très serrée autour de sa taille. Moi, ce que je voulais, c’était prendre le fusil et les deux pistolets et les mettre dans le coffre de la moto, détourner le regard et qu’il disparaisse. Du coup, en sortant, je voulais partir mais les gens ont crié : «
il est parti où ? ». J’ai dit qu’il s’était enfui ! Ils ont dit qu’ils allaient partir à sa poursuite, j’ai dit non, n’y allez pas, il s’est enfui avec son fusil, il est armé et vous aussi !
Je tenais absolument à ce qu’il n’y ait pas d’effusion de sang. On l’a laissé s’enfuir, il est parti vers la montagne. Il connaissait la région et a pu disparaitre. Il est revenu ensuite, avec le régime, quand l’armée gouvernementale est revenue, quinze jours après. Il était leur guide, ils ont arrêté tout le monde à cause de lui. J’ai pris les armes et je suis allé là où était les gens qui sont devenus ensuite l’Armée libre. Je leur ai donné les armes. Ils avaient entre leurs mains onze alaouites, qui venaient d'un autre commissariat. Ils les avaient pris en prisonniers, je leur avais dit de me les confier. C’était la condition pour que je leur donne les armes, qu’ils me confient les alaouites. Les onze policiers alaouites. Mais ils ont refusé, les alaouites m’ont dit, comment tu vas nous protéger ? Et c’est vrai, je n’avais pas de forces armées à ma disposition, comment j’aurais pu les protéger ?! Les contrebandiers ont proposé de tous partir ensemble et de les raccompagner en voiture chez les leurs puis revenir à Bdama.
Hamza : Les leurs à Damas ?
Mourad : non, à Lattaquié, à soixante kilomètres de chez nous. À ce moment-là, on n'avait pas peur, je suis allé avec eux. J’ai trouvé une voiture (
un taxi), ils étaient onze. On en a déposé six, en voiture. J’ai réglé la course, ils avaient pas d’argent, rien. Cinq sont restés, ils ont refusé les solutions qu'on leur proposait. En fait, ils étaient en contact avec une autre voiture. Je l’ai su après bien sûr. Après deux jours, j’ai pris le téléphone et j’ai appelé l’un d’entre eux. Il m'a tout de suite menacé.
Il faut savoir que nous étions une zone libérée dès le 15 avril, c'est-à-dire qu'il n’y avait plus d’autorité du tout sur nous. Ils nous ont organisé une rencontre avec la Sûreté politique, au début Mai. On s’est rencontré pour qu’ils récoltent les avis des gens du pays, étant donné que le régime cherchait à calmer les choses. Ils ont donc demandé l’avis des gens à propos de la révolution. On s’est tous retrouvé chez le président de la section de la Sûeté politique à Idlib. Au départ, ils nous ont regroupé dans un bureau d’officier. L'officier a dit avec son accent alaouite «
qu’est ce qu’il y a, mokhtar [plus basse autorité administrative d’une localité] ?
Vous voulez la liberté ?Allez voir la Turquie, tout est cher là-bas ! Ici tout est économique ! La tomate coûte rien, le concombre coûte rien, tout coûte rien ! Vous voulez la liberté, allez en Turquie ! ». Le
Mokhtar a hoché la tête.