Wolfreys, Jim – Republic of Islamophobia. The Rise of Respectable Racism in France, Londres, Hurst Publishers, 2018. 208 p.
Jim Wolfreys, enseignant au King’s College à Londres, est spécialiste des mouvements d’extrême droite en France. Il propose à l’aide d’une perspective sociohistorique de revenir sur les principaux débats et discours publics qui ont participé à faire de l’islam un « problème public » (pour reprendre l’expression de Abdellali Hajjat et Marwan Mohammed) en France. L’ouvrage, composé de cinq chapitres, revient tout d’abord sur les conséquences de la mise en place de l’état d’urgence en matière d’atteinte aux libertés fondamentales, dont la liberté d’expression. Selon lui, l’instauration de ce dispositif d’exception – inédite depuis la guerre d’Algérie – lors des mouvements sociaux dans les banlieues en 2005 et à la suite des attentats de 2015 a réactivé l’imaginaire autour de la présence d’un « ennemi de l’intérieur », sur le modèle de « la guerre contre le terrorisme » menée aux États-Unis. Après les attaques parisiennes de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher, l’ancienne garde des Sceaux, Christine Taubira, a fait adopter en ce sens, une circulaire demandant que les auteurs de discours faisant l’apologie du terrorisme soient traités avec « rigueur et fermeté ». La consigne sera suivie, puisque plusieurs peines de prison ferme seront prononcées pour ce motif. Cela aurait engendré, selon l’auteur, une véritable chasse aux sorcières, notamment dans les écoles, réinterrogeant la légitimité de la présence de la population musulmane en France et sa loyauté citoyenne. L’état d’urgence pourrait ainsi se comprendre, comme un état d’exception, où des citoyen.ne.s suspecté.e.s de ne pas être pleinement français.e.s se voient menacé.e.s d’être déchu.e.s de leur nationalité.
Dans le deuxième chapitre, « Making Racism Respectable », l’auteur reprend une à une les multiples controverses autour de l’islam qui ont traversé l’espace médiatique et politique français. L’alternance politique qui a eu lieu en 2012 n’aurait pas enrayé l’inflation de discours discriminants envers les musulmans, bien au contraire, puisque les différents partis se seraient alignés, tant sur les questions migratoires que religieuses, sur les positions du Front national (FN). De cette façon, « la radicalisation du FN et de l’UMP n’est pas tant due à un alignement des deux électorats qu’à un déplacement mutuel de ces derniers vers la droite. Celui-ci a validé des caractéristiques anciennes, bien qu’évolutives, de l’idéologie de l’extrême droite française, notamment un sentiment de déclin national qui exige une régénération par la constitution d’un leadership fort et la méfiance vis-à-vis d’une “anti-France” : des éléments indignes de confiance et indisciplinés loyaux envers une puissance étrangère qui exigent une vigilance et un contrôle constants » (p. 83). À l’heure où les discours racistes ne sont plus, ou peu, perçus comme légitimes, la religion et la culture d’origine seraient devenues le nouveau marqueur, commode, permettant de hiérarchiser et discriminer certaines populations déjà précarisées.
L’utilisation incantatoire de la laïcité, faite tant par les membres du Parti socialiste (PS) et des Républicains que du FN, validerait cette tendance. Érigée au rang de valeur fondamentale de la République, la laïcité serait ainsi devenue une arme tant discursive que légale afin de limiter la visibilité du fait religieux musulman dans l’espace public. Cette notion se serait elle-même vu accoler une nouvelle composante : la défense de l’égalité homme-femme. Comme les travaux d’Éric Fassin sur la « démocratie sexuelle » ou ceux de Christine Delphy sur le fémonationalisme l’ont démontré, les luttes féministes peuvent être instrumentalisées afin de stigmatiser les minorités ethniques et religieuses, rendues responsables des violences contre les femmes. Une de ces violences serait l’imposition du port du voile.