Face au cynisme du régime russo-syrien et de ses soutiens internationaux, quelles voies pour la solidarité à l’heure de la catastrophe ? La politique exterminatrice du Baath est aussi son point d’achoppement ; celle-ci ayant rompu l’ensemble des conventions et des formes de morale collective ayant cours au sein de la société syrienne, nul retour à la situation historique précédente n’est envisageable – tant au sein des
zones libérées que s’agissant de celles qui ont été reconquises par le régime de Bachar al-Assad et la puissance coloniale russe.
À l'inverse, la solidarité interne à la société syrienne et largement autonome de l'État du Baath a permis de sauver des vies. En redonnant un éclat neuf à l'impératif de défendre le collectif et ses membres, la réponse syrienne au séisme montre simultanément la distance irréversible qui sépare la société du régime de Bachar al-Assad. Des représentants dépêchés par le Parti des travailleurs du Kurdistan – qui contrôle la région orientale du pays sous le nom des Forces syriennes démocratiques –, pourtant adversaire historique de la révolution, se sont ainsi joints au secours des
zones libérées ; similairement, des habitants des zones sous le joug gouvernemental leur sont également venus en aide au péril de leur vie. Enfin, la solidarité de la diaspora syrienne dispersée après une décennie de guerre est également considérable.
Aussi s’agit-il de soutenir les organisations indépendantes et directement issues de la société syrienne – au premier chef desquels la défense civile des
Casques blancs. Hélas, l’impressionnante solidarité syrienne ne peut suffire à parer à la catastrophe ; il faut lui adjoindre le plaidoyer auprès des institutions européennes et internationales, lequel est nécessaire pour obtenir l’ouverture de l’ensemble des postes-frontières turcs et l’acheminement massif de l’aide au sein des
zones libérées qui manquent pour l'heure de tous les produits de première nécessité – tentes, nourriture, groupes électrogènes etc.
À l’encontre du récit anti-impérialiste, nécessité est également démontrée de rappeler inlassablement la situation historique dans laquelle vient s’insérer le séisme. Par-delà le négationnisme de circonstance, les soutiens de Bachar al-Assad ne peuvent offrir de réponse au paradoxe qui consiste à ériger celui-ci en garant de la réponse humanitaire à la catastrophe quand son régime est responsable de l’une des pires guerres exterminatrices menées par un État contre son propre peuple. La revendication de levée des sanctions – qui loin de l'exemple iraqien visent essentiellement des dignitaires du régime
[33] – doit également être lue à cette lumière : face à un pouvoir aussi singulièrement désintéressé du bien-être de ses administrés, quel sens peut-il y avoir à sa remise en selle politique et économique
[34] ? On peut raisonner par l'absurde : au nom de la nécessaire souveraineté des États, fallait-il normaliser les relations avec un gouvernement aussi cruel que celui de l'État islamique ? Quoique d'essence singulièrement violente, ce dernier a pourtant été à l'origine d'un nombre de victimes civiles incomparablement inférieur à celui du régime de Bachar al-Assad.
La problématique de l’aide humanitaire à l’heure de la catastrophe ne peut guère se dispenser de l’interrogation proprement politique – à laquelle elle n’échappe pas
de facto s’agissant de l’opportunité que le séisme représente pour les thuriféraires de Bachar al-Assad – des voies de résolution potentielles de la trame historique née du soulèvement populaire. Les révolutionnaires syriens insistent sur la nécessité de la justice
[35] : les crimes du régime russo-syrien demeurés impunis sont le ferment de la destruction de plus en plus attestée de la société syrienne et des liens qui la composent. Similairement, alors que les parrains internationaux ne cessent de trahir, il s’agit de retrouver l’élan unitaire des débuts de la révolution. À ce titre, l’auto-critique du Parti des travailleurs du Kurdistan – qui a hélas collaboré avec le régime de Bachar al-Assad – est nécessaire s’il faut aboutir à l'alliance des forces indépendantes de l’État du Baath. Cette perspective est pour l’heure illusoire. Elle peut néanmoins être ouverte comme une réponse politique – cette fois solidaire – au séisme.
Quant aux anti-impérialistes, décoloniaux et aux nationalistes blancs, c’est-à-dire le spectre large de ceux qui n’aiment les Arabes que morts ou réduits à l’état de pions qu’ils bougent sur l’échiquier de leurs chimères, ceux-là doivent assumer de se faire complice d’un régime d’essence génocidaire aux seules fins de
transfert de la pathologie identitaire dont ils sont le symptôme. Hélas, celle-ci ne peut être résolue que sur la scène de son incubation – c’est-à-dire en Europe.