RAshid Rida
L'islam, la nation et les Juifs
(1898)
Dia al-Azzawi, Blue Night, 1980
Peu de penseurs contemporains ont eu une influence aussi certaine que celle de Rashid Rida (1865-1935) sur le monde arabe et musulman à l'heure de la modernité européenne triomphante. Théologien islamique, moderniste et libéral convaincu, Rashid Rida fut l'élève de Jamal ad-Dine al-Afghani et de Muhammad Abduh. Il a notamment fondé en 1898 la revue al-Manar, haut-lieu du réformisme islamique et du nationalisme arabe, au sein de laquelle ont été traduits nombre d'auteurs libéraux, conservateurs ou socialistes européens.

Cette histoire en grande partie oubliée du réformisme islamique et du nationalisme arabe, fermement inscrite dans le modernisme généralisé de l'époque et sa croyance au progrès, défait la perspective exclusivement adversative par laquelle est souvent abordé le phénomène national dans le monde arabe et musulman. Ainsi, comme Abduh avant lui, Rashid Rida adopte une attitude résolument critique à l'égard de certaines tendances religieuses et théologiques de son époque (le fatalisme, le culte des morts), lesquelles empêchent selon lui le développement des consciences et des nations. À l'inverse, Rashid Rida fait de l'instruction moderne la clé de voûte du rattrapage de l'Europe auquel il aspire. Cette génération de clercs islamiques, dont l'influence historique ne doit pas être sous-estimée, figure la réaction de la tradition islamique à la modernité triomphante. Habitées par le sentiment de la défaite historique, les sociétés musulmanes - tout du moins leurs élites religieuses - ont pleinement désiré se réformer.

Au fil des premières décennies du XXème siècle, la perspective libérale de Rida se teinte néanmoins d'un pessimisme de plus en plus affirmé quant à la modernité occidentales, à mesure que les Empires européens trahissent leur promesse d'émancipation et établissent le système d'exploitation au cœur de la colonisation. Cette désillusion graduelle à l'égard de l'Europe aura des effets majeurs sur la pensée de Rashid Rida. Son attitude à l'égard des Juifs et de l'entreprise sioniste reflète ainsi cette évolution. Les textes que nous diffusons plus bas témoignent du rejet de l'antisémitisme qu'inspire l'affaire Dreyfus à Rashid Rida, dans un éditorial datant de la fondation d'al-Manar, et de sa curiosité admirative à l'égard du projet sioniste. Plus tard, dans des textes que nous diffuserons ultérieurement, Rashid Rida opère un revirement d'ampleur, lié à la déclaration Balfour et sa condamnation de plus en plus vive de l'impérialisme européen. À sa mort en 1935, al-Manar sera brièvement reprise par la jeune Association des Frères musulmans de Hassan el-Banna, avant de disparaître définitivement en 1940.

Nous diffusons ici trois textes de Rashid Rida, tous publiés dans al-Manar : Du bonheur des nations (1898), Les Juifs en France et en Egypte (1898) et Le Sionisme (1913). Les deux premiers datent des premiers numéros de la revue, témoignant de l'importance capitale qu'accorde leur auteur aux sujets dont ils traitent, tandis que le troisième est plus tardif. Tous sont disponibles en version originale ici. Inédite, leur traduction en français a été réalisée par nos soins.

Du bonheur des nations (1898)


Certains esprits clairs et intellects avisés, en scrutant les livres d'histoire, leur ont porté un regard contemplatif et réfléchi.

L'un d'eux s'est penché sur les diverses conditions rencontrées par les nations à travers les phases de leur vie et de leurs destinées, entre horde tribale et civilisation, rudesse et sophistication, force et faiblesse, ascension et déclin, triomphe et chute, et d'autres caractères opposés et traits distinctifs. Il a dirigé son attention vers la recherche de la vérité avec une claire vision, parcourant la terre pour observer les vestiges de l'histoire humaine, pour rapprocher ce qui peut être vu de ce qui peut être su. Il a parcouru l'Orient et l'Occident, rencontré les nations arabes et les nations étrangères, embrassé de diverses cultures, exploré les coutumes des uns et des autres, observé l'évolution des sciences et des arts, examiné les origines des industries et des œuvres publiques, et sondé les forces des esprits et des idées.

Il a ensuite entrepris de comparer et de conceptualiser, constatant que la disposition naturelle et les forces innées de ces nations étaient de même nature. Les différences de situation ne provenaient pas d'aspirations distinctes, ni de disparités dans les dispositions innées. Pourtant, une partie des nations parait se départir de toute humanité et noblesse, tandis qu'une autre semble atteindre le rang des anges. Néanmoins, ces différences ne découlent pas de tendances héréditaires mais de circonstances contingentes et d'éléments extérieurs.

Cet esprit avisé s'est employé à comprendre l'origine et les effets de ces circonstances. Celui-ci a ainsi appris comment prévenir les affections néfastes et éliminer les circonstances qui ont retardé certains peuples et entravé le progrès auquel les destine l'inspiration divine et les aptitudes sacrées accordées par Dieu à l'homme.

Nanti de sagesse et d'éloquence, cet esprit rationnel est ensuite retourné dans son pays, devenant l'un de ces médecins des âmes capables de guérir les maux de la nation. S'étonnant de l'aveuglement généralisé au sein de son peuple, il n'eut de cesse de répéter en lui-même ces versets : "N'ont-ils pas regardé ?" (Sourate 50, verset 6) "N'ont-ils pas réfléchi ?" (Sourate 7, verset 184) "N'ont-ils pas voyagé sur la terre afin d'avoir des cœurs pour comprendre ou des oreilles pour entendre ? Car ce ne sont pas les yeux qui s'aveuglent, mais ce sont les cœurs dans les poitrines qui s'aveuglent" (Sourate 22, verset 46). Après s'être ainsi enhardi de la parole divine, il a ensuite dirigé son attention vers les siens, leur offrant la connaissance récoltée lors de ses voyages.

Lorsque les gens vinrent le saluer à son retour, ils lui posèrent des questions sur son périple : celui-ci avait-il été aisé ou non, qu'avait-il mangé et bu, quels lieux avait-il visités. Il les réprimanda avec douceur pour ces questions, s'excusa d'avoir oublié ces choses futiles et de peu d'importance, et commença à leur parler des savoirs acquis dans les pays qu'il avait visités plutôt que des divertissements en leur sein, des industries plutôt que des plaisirs, évoquant longuement les nations civilisées et les richesses confortables dont il avait été le témoin, ce qui ne manqua pas de susciter leur étonnement. Il parlait avec émotion et emportement, mêlant ses paroles de soupirs et d'expressions de regret. Son affectation émut son auditoire, éveillant en eux un sentiment d'envie et d'émulation. Certains parmi eux voulurent discuter du bonheur des nations et de leur malheur, de leur prospérité et de leur déclin. D'autres s'y opposèrent :

"De telles discussions fatiguent l'esprit et n'apportent rien de bénéfique. Tout est entre les mains de Dieu, la volonté des gens n'avait aucun effet sur leurs actions et celles-ci ne sont d'aucun secours pour leurs intérêts. Les Hommes sont comme des plumes dans l'air, agités par les vents du destin, sans volonté ni choix. Nous demandons pardon à Dieu. Nous ne nions pas le choix, qui est un précepte sunnite. Cependant, la vérité est à est celle qu'ont énoncée certains savants : "Sunnites à l'extérieur et ja'afarite [N.D.L.R. : école théologique islamique croyant à une forme de prédestination absolue] à l'intérieur".

La première partie de l'auditoire, qui voulait écouter le sage, répondit :

"Bien que reconnaissant formellement le principe du choix humain, vous ne vous vous attachez uniquement à sa forme, sans saisir la signification profonde que ce principe revêt, comme si vous croyiez que prononcer le mot choix suffit par lui-même à vous éloigner du fatalisme des Ja'afarites, dont tous les érudits religieux ont rejeté la croyance et les ont qualifiés d'hérétiques. Ne savez-vous pas que les mots ne suffisent pas à déterminer la nature des croyances et la réalité des doctrines ? La source de la divergence entre l'usage commun du mot et sa signification unanimement reconnue ne relève pas de la terminologie. Prétendez-vous qu'il n'y a pas de lien entre le fatalisme et la doctrine de la prédestination ? Ceux qui se proclament être les gens de la Sunna sont en réalité des fatalistes. Cependant, lorsqu'ils se sont trouvés incapables d'admettre les conséquences naturelles de leur conviction, telles que l'invalidation des législations religieuses et la discussion des raisons de la révélation des Écritures, ils ont cherché refuge dans les termes acquisition et choix. « Ils disent de leurs langues ce qui n’est pas dans leurs cœurs » (Sourate 48, verset 11). Que Dieu nous préserve de cette grave déviance."

Le voyageur sage leur dit :

"Que Dieu vous guide ! Ces gens ne sont ni fatalistes, ni adeptes de la Sunna, ni partisans de la prédestination. Mais l'ignorance généralisée les a rendus "hésitants entre les deux : ni vers ceux-ci ni vers ceux-là" (Sourate 4, verset 143). J'ai rencontré beaucoup de gens de cette sorte lors de mes voyages dans les pays islamiques. Par exemple, si vous parliez à un Égyptien d'une question liée à l'intérêt national, il s'appuierait sur la canne du fatalisme et dirait : "C'est entre les mains de Dieu." Et si vous parliez à un Syrien, il se reposerait également sur son bâton et dirait : "Que pouvons-nous y faire ?" Et parfois, ils justifient cela en citant ce noble verset : "Il n'a aucune autorité sans celle donnée par Dieu" (Sourate 53, verset 58).

Ils utilisent une parole de vérité pour justifier leur futilité passagère, à laquelle ils s'accrochent néanmoins avec force. Si vous étiez témoins de la gestion de leurs affaires, vous verriez à quel point ils s'efforcent à éviter par tous les moyens tout principe éclairé, allant même jusqu'à renier la raison naturelle, en adoptant des voies illusoires que la loi islamique comme l'intellect rejettent, comme celles qui consistent à en appeler à des forces invisibles telles que les djinns et les démons, ou de demander aux savants et aux pieux morts leur secours. Ils s'adressent à ceux-ci face à l'épreuve et sollicitent leur intercession à grand renfort de cris et de larmes, ils leur offrent des cadeaux et leur soumettent des requêtes. Ils invoquent les morts et les esprits avec des rituels et des symboles mystiques, brûlant de l'encens dans des chambres closes, prédisant la réalité des choses avec des lignes de sable ou des cailloux, ou consultent enfin les devins et les sorciers.

Il vous est donc clair que ces fous ont réuni des doctrines contradictoires et divergentes, s'éloignant de toute mesure pour tomber dans les excès auxquels conduisent le manquement à la raison. Ils adoptent le fatalisme dans les affaires publiques et la prédestination dans leurs intérêts personnels.

J'ai étudié l'histoire, observé le progrès des sciences et éprouvé leur état actuel. J'ai vu les savants religieux interrogeant les questions du fatalisme, du destin et de ce qui est acquis, mais ils se sont limités à la définition de ces termes, en spéculant à leur égard, sans prêter attention aux conséquences que ces croyances ont sur la volonté, aux actes qu'elles engendrent, et aux forces ou faiblesses qui en découlent. Ils n'ont pas mis en garde la nation quant à ces sujets. S'ils ont bien écrit des textes explicatifs, plus ils produisaient des œuvres, plus cela augmentait la confusion et l'incompréhension au sein de la nation. Ils ressemblent à ceux qui cheminent en suivant un nuage le jour et un fleuve la nuit, sans savoir s'ils s'approchent ou s'éloignent de leur destination.

Quant à ceux qui n'ont pas encore atteint cet acmé de l'ignorance, qui mène à nier l'existence et à affirmer explicitement la conviction fataliste, ils savent considérer les effets en pratique et par conviction en leur lien avec leurs causes, de sorte qu'effets et causes se rejoignent toujours si les conditions sont remplies. Ils savent également que la manifestation des effets entre les mains de ceux qui empruntent ces causes qu'a disposées Dieu n'implique pas qu'ils vont à l'encontre du décret divin et qu'ils en soient les révélateurs outre Dieu."

Les contestataires furent gênés par cette mise en lumière du fatalisme, et tous se sont accordés à rechercher avec le sage voyageur les affaires relatives à l'élévation et le bonheur de leur nation, ainsi que sur les moyens à adopter pour atteindre cet honorable objectif. Ils ont convenu que l'enquête serait basée sur des questions et des réponses, car la recherche i incite à prêter l'oreille et à canaliser la pensée vers la vigilance et la clairvoyance. Le voyageur serait ainsi celui qui pose les questions, car il était le plus au fait des besoins des nations grâce à la connaissance et à l'expérience, puis s'ils divergent dans leurs réponses, ils s'adresseraient à lui et son avis deviendrait le décret et la règle de l'action.

Le voyageur dit :

"Je vais vous poser plusieurs questions sur divers sujets, toutes liées au bonheur des nations, et je demande une réponse unique pour toutes avec un seul mot."

Ils répondirent :

"Ta parole semble être composée d'énigmes et de devinettes, comment trouver le chemin pour résoudre leur mystère et en découvrir le secret ? Comment une réponse unique peut-elle être donnée à des questions sur des sujets différents ?"

Il poursuivit :

"Il n'y a rien d'étonnant, car toute multiplicité doit être rassemblée vers une unité. De même que l'unité que nous appelons bonheur de la nation ne peut être obtenue qu'à travers de nombreux aspects qui se rapportent à une seule chose : le bonheur de la nation. De même, les manifestations de ces nombreux aspects, dont mes questions proviennent, se résolvent vers une seule chose. La vérité que je vais vous offrir est un moyen vers lequel convergent tous les moyens, une cause qui rassemble toutes les causes."

Ensuite, il énuméra les questions :

"1. Quelle est cette loi qui crée l'attraction et la cohésion entre des éléments disparates, qui régit l'attachement des individus les uns aux autres pour former une seule nation, et par quoi est déterminé le lien qui fait tourner l'ensemble des gens autour d'un même axe ?

2. Qu'est-ce qui efface des esprits des individus de la nation l'intérêt pour les intérêts personnels au détriment du collectif et qui instaure en eux l'amour de la patrie et de la communauté nationale, de sorte que chacun voit son propre intérêt dans celui de sa nation et sa détresse propre dans la détresse collective ? Quelle est l'âme qui anime ses parties, leur permettant de subsister après leur mort et de se rassembler après leur dispersion, et de former un seul corps dont si un membre souffre, tous les autres se plaignent de maladie ? Car je vois que cette âme est le régisseur de certaines nations, tandis qu'il parait complètement perdu parmi nous, provoquant la rupture de notre contrat social, la dissolution du tissu collectif de notre nation, la divergence de la parole et autant de conflits, les disputes, de haines et la jalousies, jusqu'à ce que l'on devienne ceux dont le Coran a dit que "leurs dissensions internes sont extrêmes. Tu les croirait unis, alors que leurs cœurs sont divisés. C'est qu'ils sont des gens qui ne raisonnent pas." (Coran, Al-Hashr: 14). Comment pouvons-nous alors comprendre le sens de cette vie organique, le secret de cette unité nationale, comment l'obtenir et où la trouver, et comment peuvent-ils se réunir malgré leurs origines et leurs divergences ?

3. Si la nation estime de ses individus qu'ils ont des perceptions altérées, des esprits faibles et une absence de prédisposition naturelle à suivre les traces des autres nations dans les merveilles de l'industrie, les subtilités des sciences et des arts, comment peut-on les sensibiliser aux forces naturelles et aux potentialités latentes de leurs esprits, telles la braise dans la pierre, si on la frappe elle jaillit, et si on l'abandonne, elle s'éteint ? Ne leur incombe-t-il pas de manifester ces forces de la manière avec laquelle d'autres l'ont fait ?"

4. Lorsque le désespoir s'installe dans les esprits au détriment de l'aspiration au progrès, lorsque le découragement remplace la quête d'élévation, lorsqu'on croit que le temps des opportunités est révolu et qu'il est impossible de reproduire la réussite de ceux qui ont atteint leur objectif, bien que la même volonté soit à l'œuvre, les mains se détournent du travail, comme si elles étaient paralysées, et les jambes cessent de chercher, semblant être entravées. Comment se départir de ces chaînes, briser ces carcans et permettre à ces âmes de goûter à la douceur de l'espoir après l'amertume de la détresse ? Comment stimuler ces esprits, avides de gloire, à poursuivre le chemin vers l'objectif qu'ils désirent et à s'y engager de tout cœur ?

5. Si certains riches essaient d'imiter les pratiques de ceux qui nous ont précédés sur la route du progrès, de suivre les civilisations avancées en recréant leurs modes de vie, caractérisés par la richesse et l'abondance, ils construisent des palais, sculptent les murs, les ornent d'alcôves, de balustrades, de vitraux, de lampes et autres objets précieux importés des contrées lointaines de ces peuples. Comment peut-on convaincre ces personnes que cette imitation représente une déperdition pour la nation, une dépense inutile, et que cela épuise ses richesses sans qu'il en reste pour l'avenir ? Comment peut-on leur enseigner que le mimétisme ne peut être bénéfique que lorsqu'il sert la connaissance et suit les traces de ceux qui ont constitué des œuvres profitables ?

6. Comment les nations préservent-elles leurs religions, leurs langues et leurs coutumes bénéfiques lorsqu'elles sont menacées par la loi d'autres nations qui menace leur existence ? Comment la langue hébraïque a-t-elle été préservée chez les Israélites malgré la perte de pouvoir, la dispersion dans différentes contrées, la violence destructrice des gouvernants, l'oppression des oppresseurs, alors que la pureté de la langue arabe s'est corrompue au fur et à mesure que leur civilisation et leur autorité se développaient ?

Les enfants juifs en Russie, en Allemagne, en Autriche, en France, en Espagne, en Tunisie et en Amérique parlent toujours la langue de leur livre sacré (la Torah) comme le faisaient leurs ancêtres. Ils n'ont pas été dissuadés de préserver cette langue malgré leur connaissance de la langue des peuples avec lesquels ils coexistent. Quant à nos savants religieux en Égypte, en Syrie, en Irak, au Maroc, et même au Hedjaz et au Yémen, ils se contentent de la présence de la langue du Coran dans les entrailles des manuscrits et des recueils !

7. Comment échapper à l'influence de mauvaises coutumes, à la domination des traditions nuisibles qui nous empêchent de progresser, qui nous ont convaincus de la justesse de l'absurdité, qui nous ont rendus hostiles à tout ce qui est nouveau, même s'il apporte notre bonheur, et qui se sont renforcées avec le redoublement des jours et des années, affectant la souveraineté de la raison et la guidance de la religion, au point que ceux qui suivent le progrès en en apprécient les bienfaits et en critiquant ceux qui les nient voient que {leur activité est perdue dans cette vie mondaine, alors qu'ils pensent faire le bien} (Sourate 18, verset 104) ? Je jure que si nos âmes étaient animées du même souffle que celles de nos ancêtres, nous serions les précurseurs dans toute invention, découverte et action bénéfique.

8. Nous voyons beaucoup de comportements et de coutumes ayant des aspects positifs et négatifs, où certains en bénéficient tandis que d'autres en souffrent. Comment ces branches variées et ces effets divergents peuvent-ils dériver d'une origine unique ? Comment les Européens ont-ils su tirer profit des différences entre hommes de science et hommes politiques, comment ont-ils su reconnaître dans ces conflits ce qui les preuves de la vérité et de la réalité, de sorte que la lumière des vérités scientifiques et des intérêts collectif brille comme l'éclair qui n'apparait que dans le frottement du positif et du négatif ?

Pourquoi le différend et la discorde parmi les peuples orientaux ont-ils masqué la vérité et obscurci la vision, faisant échouer leurs intérêts et négligeant les opportunités, de sorte que leurs idées s'entrechoquent comme des bouteilles ?

9. Comment purifier les esprits des souillures des obsessions et des illusions qui alimentent la peur de l'inoffensif et l'espoir dans l'inutile ? Comment peut-on effacer les lignes corrompues qui ont été tracées dans les tablettes des âmes par les mythes et les superstitions, au profit des signes de sagesse et des gravures de vérité ?

10. Comment distinguer la vraie gloire de la fausse, la perfection authentique de l'illusoire, de sorte que les dépenses des festivités et des commémorations se transforment en dépenses d'éducation et d'enseignement, remplaçant par la construction de bureaux et d'écoles nationales par les palais et les mausolées, comme les pyramides édifiées par les anciens Égyptiens pour conserver leurs nobles dépouilles ?

11. Quel est le remède qui élimine les germes de la corruption, le médicament des maux de l'esprit, celui qui guérit les maladies du cœur qui engendrent les péchés et les vices ?

12. Quand les maladies physiques diminueront-elles et que la nation s'embellira-t-elle de la santé complète, rejetant les maux et les épidémies en les éradiquant totalement ?

13. Comment les nations acquièrent-elles la richesse ? Nous voyons certaines nations accablées par la noire pauvreté, où seuls quelques rares individus sont riches, et la plupart d'entre eux n'ont pas acquis leur richesse de manière légitime et honorable. La question porte donc sur la production de richesse par la nation par des moyens légitimes car en l'état actuel des choses, même la redistribution de la richesse indue ne suffirait pas à nous sortir du rang des nations pauvres?"

Le sage interrogateur poursuivit :

"Lorsqu'on parle d'agriculture, d'industrie et de commerce, je ne considère pas cela comme une réponse. Cela me pousse plutôt à poser d'autres questions sur le sujet de la richesse :

14. Quel est le moyen d'améliorer l'agriculture afin que la terre déborde de bienfaits et de bénédictions, qui sont ses véritables trésors ? Pourquoi les habitants de la France, voire de la Zélande, possèdent-ils une production agricole plus importante que celle des Égyptiens en ratio de superficie terrestre, alors que la terre d'Égypte est plus fertile, que ses habitants travaillent davantage, et qu'ils ont le Nil, qui n'a pas d'équivalent ni en Zélande ni en France ?

15. Quelle est la méthode pour maîtriser l'industrie, l'élargir et la diversifier de manière à ce que la nation soit auto-suffisante, préservant ainsi sa richesse face à l'exploitation étrangère et évitant de devenir dépendante comme d'autres nations qui ont été affaiblies par la maladie de l'ignorance et de la paresse, les empêchant ainsi d'accomplir leurs œuvres ?

16. Quelle est la manière de se comporter en matière commerciale, qui est celle qui génère la plus grande richesse ? Le commerce est ainsi, par rapport à l'industrie et à l'agriculture, comme la force conductrice des savoirs et des connaissances, ou comme les artères et les veines pour le sang humain et animal ?

17. Comment quelques individus parmi les étrangers peuvent-ils monopoliser les eaux du Nil et celles du Kalb (un fleuve au Liban exploité à Beyrouth par une société étrangère), tout comme ils monopolisent les biens et les entreprises commerciales, vendant ces ressources aux habitants du pays pour profit ? Qui aurait cru cela sans le voir ? L'idée que la nation soit réduite à un niveau où les nationaux ne peuvent même pas boire l'eau de leur propre pays sans payer un prix convenu et choisi par les étrangers, si elle devait être consignée dans les livres d'histoire, serait probablement vue par nos descendants comme de ces mensonges qui se mêlent aux récits authentiques.

18. Comment les nations acquièrent-elles la puissance et la préservation de soi, comment assurent-elles victoire et triomphe ? Comment l'Angleterre a-t-elle conquis ses possessions d'Inde, d'Australie, du Cap, du Niger et du Canada, comment la France a-t-elle conquis l'Algérie, la Tunisie, le Sénégal, Madagascar, la Cambodge, l'Indochine et Tonkin, et comment les Pays-Bas ont-ils conquis ceci et l'Allemagne cela ?

19. Comment quelques individus peuvent-ils assujettir une nation entière, exploiter ses ressources pour leurs seuls intérêts, l'utiliser comme on utilise des animaux, la diriger comme une machine sans que personne ne comprenne la raison de ce pouvoir et que personne ne se rende compte de ses causes, comme si tous avaient perdu tout sentiment et toute émotion ?

20. Comment les Américains ont-ils réussi à se défaire du joug anglais autour de leur cou pour unir leurs états sous une seule bannière, éclairant le monde de ses étoiles, suscitant la crainte en Europe quant à ce qui reste de son pouvoir dans le nouveau monde, anticipant l'application de la doctrine Monroe : "L'Amérique aux Américains" ?

Dans l'ensemble :

21. Quel est le moyen qui élève les âmes troublées par les malheurs et la détresse et qui redresse celles plongées dans les affres de l'abandon ? Quelles sont les étapes par lesquelles les nations accèdent à la civilisation véritable, les échelons qui les hissent vers les sommets du perfectionnement physique et moral, dont les effets sont à la fois religieux et mondains ? Quelle est la lumière qui éclaire les ténèbres de l'ignorance et de l'inconscience, le phare guidant dans les dilemmes du doute et les méandres des épreuves ?"

Après avoir énoncé ces questions, le sage se tut, attendant la réponse que lui donnerait les gens. L'un d'entre eux prit l'initiative de dire :

"Il est indéniable que les princes et les dirigeants sont ceux qui construisent les fondations des nations, insufflant en elles l'esprit de l'unité, ouvrant la voie à la vie nationale, enrichissant les sources de la richesse par les moyens de son acquisition, creusant des canaux, érigeant des usines et des entrepôts, mettant en œuvre des machines et des outils, c'est-à-dire tout ce que vous avez mentionné comme étant des causes du bonheur national."

Le sage répondit :

"Si nous supposons que le gouvernement est riche alors que la nation est pauvre, et qu'il a la capacité d'entreprendre toutes ces actions, est-il possible pour le dirigeant d'éradiquer de l'esprit de la nation les germes de la morale corrompue, de purifier les mauvaises habitudes qui engendrent des actions néfastes, et de planter dans l'esprit des valeurs morales nobles et des comportements vertueux qui mènent à des actions bénéfiques ? Non, celui qui attribue entièrement la responsabilité aux dirigeants se trompe dans son jugement. J'ai vu que la plupart des nations orientales ne voient leur existence qu'à travers leurs dirigeants. Ils considèrent que la réforme, la corruption, la guidance, la santé, la maladie, la richesse, la pauvreté, voire la vie et la mort de la nation, tout cela est entre les mains du dirigeant, comme s'il avait le pouvoir sur toutes choses, sans opposition, comme si cette illusion leur était transmise depuis l'époque de ceux qui disaient 'Je donne la vie et je donne la mort' (Sourate Al-Baqarah, 258) et de ceux qui disaient 'Je suis votre Seigneur, le Très Haut' (Sourate An-Naziat, 24). Ils ignorent que le dirigeant n'est qu'un individu parmi la nation, que le pouvoir politique n'a pas accru ses vertus et ne lui a pas donné de pouvoirs au-delà des capacités humaines. Au contraire, cela a peut-être altéré sa moralité et affaibli sa compréhension, comme cela a été observé chez certains. La vérité est que la réforme de la nation ne vient pas du dirigeant. Oui, le dirigeant peut accélérer le processus et être un facteur de succès s'il est soutenu.

Un autre intervint pour répondre :

"Le seul chemin pour redresser une nation de sa faiblesse, éliminer ses erreurs et la placer parmi les nations puissantes est de confier les affaires globales de la nation à des hommes ayant l'expérience des dirigeants de ces nations. Ils établissent la justice, lèvent l'étendard de l'équité, freinent les abus des autorités, arrachent l'arbre de la corruption depuis sa racine, assurent la sécurité, construisent des usines et des manufactures, facilitent les voies de communication, rapprochent les distances en établissant des chemins de fer, des lignes télégraphiques et téléphoniques, élargissent la sphère de l'acquisition en créant des institutions financières qui sont le fondement de tout progrès en agriculture, industrie et commerce. Ils diffusent les connaissances authentiques qui ne se trouvent que dans leurs langues. Ainsi, il ne faut pas plus de quarante ans pour qu'une nouvelle génération émerge."

Le questionneur, perturbé, agité et indigné, dit en scrutant son interlocuteur :

"Si tu as été guéri d'une maladie, ne tue pas ce qui t'a soigné." Tu as gravement erré, mon frère, et tu as été ensorcelé par le démon de l'illusion. Tu as jeté du sel sur ma blessure avec ta réponse. Ne sais-tu pas que les dirigeants de ces nations, auxquels tu as fait référence, ont été élevés dans leur pays avec un amour pour leur patrie et ont consacré leurs efforts au bénéfice de leur nation ? Ils ont adopté cela comme un principe ancré dans leur esprit, dictant toutes leurs actions, sans artifice ni affectation. Tout ce qui ressort de leurs actions est utile pour la nation qu'ils s'efforcent de réformer extérieurement, et cela doit sûrement contenir des bénéfices pour leur propre nation. Le bénéfice est le pôle autour duquel tournent leurs actions. Ils ne diffusent que les connaissances qui nourrissent l'amour dans les cœurs, la croyance en leur grandeur et détériorent les langues, les intérêts et les traditions de leur peuple, qui constituaient une nation distinguée parmi les autres, indépendante dans son existence. Ils n'élargissent la sphère des gains que pour les connaisseurs de leurs méthodes issues de leur propre terre, facilitant les voies de richesse physique et morale, généralisant la sécurité, réprimant les abus de pouvoir. Tout cela est un moyen de leur domination sur terre, excluant les enfants du pays de la richesse, dirigeant ces voies et ces canaux vers d'autres. Oui, les nationalistes tirent un peu de réconfort de cela, augmentant leur paresse et leur inaction, jusqu'à ce qu'ils acquièrent des terres vastes et deviennent propriétaires et fermiers, sachant comment empoisonner les autres lorsqu'ils ne bénéficient pas du savoir. J'ai demandé ce qui ferait renaître les nations, et tu m'as répondu avec ce qui les pousse vers leur déclin et les fait descendre au plus bas."

Ensuite, un troisième homme intervint et dit :

"Les journaux libres éveillent les pensées de la nation, éclairent ses esprits en diffusant la connaissance, la guident vers l'adoption de vertus et l'abandon de vices, la dirigent vers les voies de la civilisation, la poussent à les suivre tantôt par incitation et encouragement, tantôt par intimidation et mise en garde contre les conséquences de la négligence. Ils stimulent de leurs esprits les germes de la jalousie qui appellent à la compétition et au défi, parmi d'autres bénéfices qui ne sont pas étrangers à votre connaissance."

Le questionneur répondit :

"Certes, les journaux ont une grande importance pour les nations civilisées et ont un impact évident sur le progrès de leurs civilisations, considérant les journaux comme leur guide. Cependant, ils ne sont pas le seul facteur de cette civilisation. S'il n'y a pas de chemin vers la civilisation vertueuse dans la nation, pourquoi serait-il le guide ? Oui, des journaux devraient être créés pour encourager la coopération, définir les objectifs à atteindre et les directions à suivre, puis encourager la marche vers ces objectifs de manière naturelle selon la voie tracée par Dieu, nous guidant dans cette voie, puis agir comme un guide pour faciliter aux voyageurs la traversée des difficultés et la couverture des distances avec vigueur et aisance.

Je ne dis pas que les journaux sont la solution au problème de la nation, mais ils sont un moyen pour contribuer à la réforme s'ils sont sincères et honnêtes. Leur meilleur travail est de transmettre les pensées de la classe intellectuelle de la nation à toutes les autres classes sous un principe noble, car l'unité est l'objectif que nous avons d'abord mentionné."

Il se tourna ensuite vers les gens et dit :

"Avez-vous quelque chose à ajouter ?"

Ils répondirent d'une seule voix :

"Non, nous attendons la sagesse de la réponse de Son Excellence le questionneur."

Il dit alors : "La réponse que j'ai donnée, à savoir que le moyen de bonheur pour la nation réunit tous les moyens et est la cause de toutes les causes, c'est l'universalisation de l'éducation. Ce terme est souvent prononcé, mais son vrai sens n'a pas été pleinement compris et médité. Si vous doutez de ce que j'ai dit, je suis prêt à vous convaincre. Si vous cédez et ne dirigez pas toutes vos ressources intellectuelles et financières pour atteindre cette ambition, alors vous êtes ceux qui œuvrent à la perte de vos patries, qui trahissent votre nation et votre religion."

Les Juifs en France et en Égypte (1898)


Avant que Bonaparte ne revête la couronne impériale, sa légitimité auprès du peuple français prenait forme dans sa défense de la liberté publique et son obéissance aux principes républicains. Cependant, après son accession au trône impérial, il n’a ménagé aucun effort pour effacer cette liberté et fouler à ses pieds ces principes constitutionnels. C'est le cas de l'homme à tout moment : il recherche la liberté lorsqu'il est opprimé, mais la déteste lorsqu'il est au pouvoir. Il fait appel à la justice lorsqu'il est opprimé, mais la rejette lorsqu'il est oppresseur, excepté ceux que Dieu a guidés, et ils sont peu nombreux.

Il nous est parvenu la rumeur des problèmes internes survenus en France à la suite de l'affaire Dreyfus et de l'affaire Zola, lors desquelles les Juifs ont subi l'humiliation, la persécution et un traitement injuste. Le lecteur ne doit pas croire que cette persécution a résulté d'un fanatisme religieux dans la nation française, alors que celle-ci est plus encline à l'affaiblissement de la foi qu'à la passion suscitée par l'extrémisme religieux. La source de cette persécution provient du préjugé racial et de la malveillance jalouse, suscités dans les cœurs de la nation française par une classe de propriétaires de journaux hostiles aux Juifs, jaloux de leurs succès et avides de leurs richesses.

Ces incidents odieux, s'ils se produisaient entre les habitants de l'Orient, provoqueraient les cris de ces journaux français, et les habitants de l'Orient et leurs coutumes seraient vilipendés par des langues en deuil et des plumes plus acérées que des flèches. En fait, si ces journaux étaient dans un pays où la faiblesse d'une minorité était semblable à celle des Juifs en France, les gens réclameraient plus rapidement une liberté absolue et une justice générale pour les humains, quelle que soit leur origine. Cela confirme notre maxime : l'homme fait appel à la justice lorsqu'il est opprimé et la rejette lorsqu'il est oppresseur.

Il est étrange que le mal des journaux français ait atteint certains journaux égyptiens. Ceux-ci ont accusé les Juifs de cupidité excessive dans leurs gains et leur habileté commerciale. Cependant, nous pensons que la liberté publique ne devrait pas être limitée à un groupe spécifique. La véritable civilisation et la vraie justice exigent une égalité absolue entre tous les êtres humains dans les domaines publics. Le travail et le gain par des moyens légitimes sont parmi les vertus sociales, et il incombe à l'homme de travailler et de gagner honnêtement autant qu'il le peut. Celui qui s'y oppose s'oppose au principe de liberté publique.

C'est pourquoi aucun sage parmi les sages de la nation française n'est satisfait de ce que les Juifs ont enduré en France, qu'il s'agisse de persécution ancienne ou moderne. Certains de leurs grands philosophes ont qualifié cette persécution de maladie d'époque, espérant ainsi qu'elle disparaîtra avec le progrès de la civilisation et de la moralité publique.

Nous espérons que les écrivains de notre société orientale n'ajouteront pas à celle-ci de nouveaux éléments de conflit et de discorde, car nous avons eu suffisamment de ces facteurs détestables, et nous avons maintenant plus que jamais besoin d'éléments d'accord plutôt que de division. Peut-être que nos frères de l'Orient, en particulier les musulmans parmi eux, pourront tirer profit des expériences des autres nations, car "personne ne se souvient, si ce n'est celui qui se repent" (Sourate 40, verset 13). Amen, nous avons donc choisi de traiter cela dans le deuxième numéro de notre revue.

Le sionisme (1913)


Le sionisme est un mouvement social et politique qui s'est diffusé parmi la nation israélite à la fin du siècle dernier et dont les discussions se sont multipliées ces dernières années. Nous nous sommes particulièrement intéressés à ce mouvement lors de notre voyage en Palestine. Dans notre recherche sur les conditions sociales et économiques de ce pays, il est inévitable de mentionner le sionisme et ses effets considérables sur ces réalités. Nous avons jugé bon de présenter un résumé de son histoire et de clarifier ses objectifs afin de fournir davantage de clarté au lecteur.

Nous avons déjà avancé dans notre discours sur l'histoire de la Palestine comment les Juifs ont été dispersés dans le monde entier après avoir lutté pour défendre Jérusalem comme des lions. Plus de dix-neuf siècles se sont écoulés depuis cet exil pendant laquelle ils ont pleuré leur patrie, leur État et leurs institutions, en particulier le Temple de Salomon, dont les vestiges sont encore visibles à Jérusalem aujourd'hui, comme nous l'avons montré en image lors de notre voyage. Ils ont tenté en vain de récupérer cette patrie à de multiples reprises et ont composé des élégies à son égard. Jusqu'à ce jour, ils continuent de déplorer la perte de cette gloire ancienne chaque semaine près de pierres qu'ils pensent être les restes du Temple de Salomon. La diaspora juive a tenté à plusieurs reprises de récupérer cette patrie par différents moyens, le dernier étant le mouvement sioniste auquel nous nous intéressons actuellement.

Chaque mouvement social ou politique a un objectif auquel il vise, et l'objectif du sionisme, rassembler le peuple israélite en Palestine et en faire son territoire exclusif, est fondé religieusement sur des versets du Livre de Jérémie, chapitre 30, verset 10, où il est dit : "Ne crains pas, Jacob, mon serviteur, dit l'Éternel, et ne t'effraie pas, Israël ; car voici, je te délivrerai de loin, et ta postérité du pays de leur captivité ; et Jacob reviendra, il jouira du repos et de la tranquillité, et personne ne le troublera." Et dans Ezéchiel 39, verset 28 : "Et ils sauront que je suis l'Éternel, leur Dieu, qui les a emmenés captifs parmi les nations, et qui les a rassemblés dans leur pays, sans laisser aucun d'eux derrière lui." Et dans Amos, une phrase explicite (9:14) : "Je ramènerai les captifs de mon peuple d'Israël ; ils rebâtiront les villes dévastées et y habiteront, ils planteront des vignes et en boiront le vin, ils cultiveront des jardins et en mangeront les fruits. Je les planterai sur leur terre, et ils ne seront plus arrachés du pays que je leur ai donné."

Il existe d'autres prophéties similaires dans Zacharie, Isaïe, Michée et d'autres livres saints, par-delà leur croyance en la venue du Messie qui rassemblera les enfants d'Israël autour de lui, marchera vers Jérusalem et rétablira le culte dans le Temple, ainsi que d'autres éléments mentionnés dans le Talmud. Cependant, de telles déclarations et d'autres ne suffisent pas à produire le consensus au sein de la nation, afin d'agir en accord avec elles si les individus ne s'attendent pas à en retirer un bénéfice économique ou politique, ou s'ils ne sont pas poussés à agir par la faim, la persécution ou l'injustice. Combien de croyances les gens ont sans agir à ces fins, du fait de leur inaptitude ou de l'absence de nécessité ? Les gens ne s'accordent pour agir que dans ce qu'ils voient être de leur réel intérêt.

Dans de telles circonstances, il doit y avoir un moteur qui pousse à l'action, et les Juifs ont deux raisons pour ce mouvement :

Premièrement : l'influence de l'esprit nationaliste sur leurs âmes à la suite de l'essor social et scientifique dans le monde civilisé ; car la propagation de la liberté individuelle a engendré chez les nations un sentiment de solidarité communautaire prédominant sur d'autres identités ; ainsi, les Magyars cherchent à se libérer de l'Autriche et les Balkans tentent de se soustraire à l'autorité turque. Les Balkans eux-mêmes se déchirent maintenant au nom du nationalisme, bien qu'ils soient d'une seule foi et d'une seule région.

Deuxièmement : la radicalité des nations chrétiennes dans leur dédain envers les Juifs au nom de l'antisémitisme, le terme signifiant lutter contre les Sémites, mais il vise spécifiquement les Juifs. Cela a conduit à l'union politique des Juifs d'Europe, laquelle comprend pour influente partie des personnes riches, des politiciens, des savants, toutes des personnes d'ambition et d'énergie. Ces individus ont commencé à défendre leur nation, oubliant la prétendue fatalité pour agir en vertu de fins nationales. Leurs penseurs ont incité leur peuple à l'établissement en Palestine pour échapper à la persécution que leur réservent les nations. Certains ont même affirmé que si l'établissement en la Palestine n'était pas possible, il fallait chercher un pays ailleurs.

D'autres se sont activement mobilisés pour affermir les associations caritatives israélites, telles que l'Union israélite, pour entreprendre cette œuvre nationale dès 1863. Cependant, l'objectif principal de cette association était alors l'éducation de la jeunesse juive. D'autres encore ont cherché à renforcer l'Association juive à Londres et à Berlin, ce qui a conduit à la création de l'Association générale de la Palestine et de l'Association pour l'établissement en Palestine. Cependant, l'appel n'était pas encore mûr à cette heure, ces efforts n'ont pas porté leurs fruits. Ils ont alors tourné leur attention vers la vallée de l'Euphrate, envisageant qu'elle puisse être un lieu d'exil pour eux. Le politicien anglais Oliphant a consacré ses efforts à obtenir une concession ferroviaire dans cette vallée pour y installer les migrants juifs de Russie, et il a proposé la création d'une colonie juive en Palestine dans les environs de la ville de Salt, avec pour idée qu'une association avec un capital de dix millions de francs achèterait un million d'acres que les Juifs de Pologne, de Roumanie et d'Anatolie exploiteraient. Mais le Sultan ne leur a pas donné l'autorisation et toutes leurs autres initiatives de ce type ont échoué.

Mais l'esprit du sionisme s'était emparé des cœurs juifs, renforçant leur attachement à la nation à mesure que la résistance au projet sioniste s'intensifiait. Ainsi, le nombre d'associations formées dans ce but a augmenté. La première association qui a réussi à investir dans des terres en Palestine a été créée en 1879. Lorsque le Congrès juif s'est réuni en 1884, ils étaient sur le point d'atteindre leur objectif, mais les Ottomans ont pris conscience de leurs intentions et ont fait obstacle à leurs projets.

Leur œuvre n'a trouvé de base solide qu'après l'émergence du Dr Theodor Herzl, le promoteur du sionisme. C'était un homme autrichien fortement attaché à la cause israélite, plein d'énergie, fort en argumentation. En 1895, alors qu'il se trouvait à Paris, il écrivit un livre sur la colonisation juive qu'il intitula "l'État juif", non pas pour stimuler les esprits ou exalter les sentiments mais comme il dit : "Je l'ai écrit pour moi-même et pour arrêter certains de mes amis dans leurs opinions." Cependant, sitôt imprimé à Vienne en allemand, le livre fut traduit en français, en anglais et en hébreu et réimprimé à maintes reprises, connaissant ainsi un succès énorme. Il a suscité des passions au-delà de ce qui était attendu, et bien qu'il ait été contesté par beaucoup, les tendances sociales à l'œuvre dans l'époque ont exigé la réalisation de ses fruits. Car l'idée de l'établissement des Juifs en Palestine avait mûri et les esprits étaient préparés à cela, mieux, ils y aspiraient.

La conclusion de Herzl dans ce livre est comme suit : les ennemis des Sémites augmentent, et les Juifs ne peuvent pas résister dans leur état actuel de dispersion dans le monde. Ils ont besoin de se réunir dans un pays qui leur est propre. Il a donc proposé la création d'une entreprise juive avec un capital de 50 000 000 de livres sterling basée à Londres. Une association politique juive devait être formée pour gérer les affaires de cette entreprise et lui donner les directives appropriées à suivre.

Pour réaliser cela, il a proposé d'adopter la Palestine ou l'Argentine comme foyer, où les Juifs pourraient ensuite déménager de manière organisée. Herzl a ensuite modifié son opinion pour se limiter à l'établissement en Palestine, sans autre alternative, sachant que les gens ne sont jamais tant mus que par le sentiment religieux, et que les Juifs ont quitté la Palestine en gardant leur cœur attaché au Temple de Salomon.

Moins d'une année après la publication des opinions de Herzl, les institutions juives ont commencé à les adopter. La première à le faire a été l'Association juive autrichienne, dont plusieurs milliers de membres ont signé une pétition en 1896 demandant la formation d'une association juive à Londres. Cependant, une grande partie des rabbins en Russie, en Allemagne, en Autriche et en Angleterre s'y sont opposés au départ, car Herzl ne considérait pas l'aspect religieux de la question comme il l'aurait dû, et que la plupart de ses partisans étaient des jeunes éclairés, ce qui leur a valu de nombreuses incriminations. Les chrétiens ont été plus bienveillants envers le sionisme que ces rabbins, le soutenant de leur plume et de leur voix.

Parmi les obstacles rencontrés sur la voie du sionisme, la question de l'éducation était l'une des plus importantes, car les rabbins considéraient la diffusion des sciences modernes comme autant de transgressions des normes religieuses, propageant l'idée que le sionisme conduisait à l'apostasie. Lorsque le deuxième congrès s'est tenu, Herzl a eu la sagesse de se montrer clément envers les hommes religieux ; il a alors reconnu que le sionisme englobait la recherche de la renaissance des rites religieux en plus des aspects économiques et politiques.

Le lecteur pourrait être surpris par le succès de cet appel en si peu de temps, mais s'il connaissait le but et les moyens, cela lui semblerait plus facile à envisager. Herzl a appelé le peuple juif des parties civilisées du monde à une conférence qui s'est tenue à Bâle en 1897, à laquelle ont assisté près de deux cents membres, certains délégués par des groupes. Les esprits étaient préparés à accepter cet appel - la création d'une patrie légitime pour le peuple israélien en Palestine -, ils ne se sont donc pas simplement contentés de signifier leur accord, ils ont également discuté des moyens 'amplifier le mouvement et de le soutenir. Ils ont décidé de trois des voies les plus subtiles pour parvenir au au succès :

1. Revitalisation des coutumes hébraïques et leur propagation.
2. Établissement d'écoles pour enseigner la langue hébraïque.
3. Création d'un système financier commun pour les Juifs.

Après la fin de cette conférence, ses membres ont mis en œuvre ces résolutions par la publication de livres et de discours en hébreu, en allemand, en français, en anglais et en arabe. Ils ont formé un conseil pour la colonisation israélite. Lorsque le deuxième congrès a eu lieu à Vienne, puis à Bâle en 1898, les rapports suivant ces réunions ont montré une augmentation considérable des associations sionistes, lesquelles atteignaient le nombre de 1 150. De nombreux opposants historiques ont commencé à se rapprocher d'eux, et de nombreux hommes religieux ont fini par croire en leurs principes. Lors de cette conférence, ils ont décidé de créer une association spéciale pour l'établissement en Palestine, dans le but d'élargir son champ d'action et de faire de l'hébreu la langue des Juifs en tout point où qu'ils résident.

Ce schéma s'est poursuivi lors des congrès suivants. Le troisième congrès a aussi eu lieu à Bâle et a vu la plupart des discussions s'axer sur l'obtention de privilèges du sultan Abdul Hamid, ce qui n'a pas donné de résultats. Il y avait plus de 877 sociétés russes, avec 250 000 membres les fréquentant régulièrement. Le quatrième congrès s'est tenu à Londres en 1900 et la cinquième à Bâle en 1901. Lors de ce dernier, les délégués ont décidé d'organiser un congrès général tous les deux ans - en dehors des conférences subsidiaires d'un congrès à l'autre - et de créer des bibliothèques, des écoles et de compiler une encyclopédie hébraïque. Lors de la sixième conférence à Bâle en 1903, ils ont décidé d'envoyer un comité en Ouganda pour vérifier que cette terre était adaptée à la colonisation. Ils ont également décidé d'allouer 200 000 livres pour acheter des terres en Palestine et en Syrie.

L'année suivante, en 1904, le Dr. Herzl, le promoteur de ce mouvement, est décédé, et ils ont élu le Dr. Nordau pour le remplacer. L'Angleterre, cette même année, a offert aux sionistes des terres en Afrique orientale britannique, autour du chemin de fer entre Nairobi et Mau, pour établir une colonie juive indépendante sous la protection de l'Empire britannique. Un comité a été nommé pour étudier la question, et ils ont conclu que la zone était d'insuffisante superficie, alors ils l'ont rejetée. Les congrès sionistes ultérieurs ont suivi ce schéma, y compris la onzième conférence tenue cette année à Vienne sous la présidence de M. Wolffsohn. Ce congrès a conclu que le sionisme progressait et que sa sécurité était liée à celle de l'État ottoman, car la question juive et la question arabe sont en accord l'une avec l'autre. D'autres décisions importantes comprenaient l'établissement d'une université à Jérusalem pour enseigner des sciences supérieures en hébreu, y compris les langues orientales et une philosophie ancienne et moderne. Outre ces principaux congrès, des conférences subsidiaires ont eu lieu dans le monde entier, notamment une à Zamarin dans les territoires palestiniens à laquelle ont assisté cinquante membres, avec pour condition d'adhésion à l'association le paiement de cinq cents par l'étudiant. ls ont divisé la Palestine du point de vue du sionisme en six régions et ont décidé d'établir des associations et des branches pour le soutenir.

Les décisions du septième congrès - en ce qui concerne l'établissement en Palestine - comprenaient la recherche archéologique, la promotion de l'agriculture et de l'industrie, l'amélioration des conditions économiques générales, la promotion des infrastructures sociales juives, et bien d'autres choses encore. Les associations sionistes sont maintenant nombreuses, agissant conformément aux décisions des congrès généraux.

L'Organisation sioniste a des financières pour promouvoir ses objectifs, dont :

- La Banque coloniale juive, ayant un objectif politique d'importance en tant qu'un des outils principaux de l'Organisation dans son objectif fondamental, c'est-à-dire la stimulation de l'établissement israélite en Palestine, en Syrie, dans toutes les parties de la Turquie, dans l'île de Sinaï et à Chypre. C'est une banque à participation, comptant environ 135 000 actionnaires, avec une succursale à Jaffa au nom de la Palestine English Company, ayant des filiales dans la plupart des villes de Palestine, avec un capital excédant les 120 000 livres.

- La Banque juive mondiale, dont l'objectif est d'accumulant un fonds sioniste pour l'achat de des terres en Palestine. Ses dirigeants ont stipulé que son capital ne devrait entamé avant d'avoir atteint 50 000 livres. Celui-ci est maintenant à 120 000 livres.

En sus des moyens éducatifs et culturels créés par l'Organisation sioniste tels que les bibliothèques, les écoles, les associations littéraires et les dispensaires pour hommes et femmes, les dirigeants sionistes ont renforcé la position des femmes en leur accordant le droit de vote et d'éligibilité lors de l'adhésion aux congrès. Ainsi, des associations littéraires, éducatives et sociales féminines ont été formées. De grands journaux ont été établis pour servir les objectifs de l'Organisation sioniste en Russie, en Autriche, en Allemagne, en Italie, en Angleterre, en Égypte, en Bulgarie et ailleurs. La cause sioniste s'est ainsi répandue dans le monde civilisé, jusqu'en Chine, au Japon, en Turkestan, aux Philippines, ainsi que dans les possessions européennes, américaines et d'autres encore.

Leurs partisans se comptent désormais par millions. L'ensemble est composé de partis et de groupes discutant et débattant de l'intérêt général et soutenant l'objectif recherché. Il ressemble plus à un État démocratique qu'à une organisation politique et sociale. Ses membres ont utilisé les moyens les plus efficaces pour renforcer le corps national, élargir la raison et soutenir le principe national, si bien que leurs efforts ont été couronnés de succès. Ils ont établi des colonies juives en Palestine sur ses terres les plus fertiles, ont ouvert de nombreuses écoles, fermes, associations, bibliothèques, banques, et installations médicales et sanitaires. L'aspect le plus important de ces efforts du point de vue social est la promotion de la langue hébraïque et de sa culture, dont nous donnerons des exemples lors de notre récit des conditions économiques et sociales en Palestine observées lors notre voyage de cette année.
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