Comme beaucoup d'autres personnes en Israël et à travers le monde, ma première réaction à l'attaque du 7 octobre a été celle du choc et de l'horreur. Mais cette réaction initiale s'est accompagnée de colère, non seulement face au massacre épouvantable perpétré par le Hamas contre des femmes, des enfants, des personnes âgées, des handicapés, voire des bébés, mais aussi envers ceux qui auraient pu empêcher cet acte de violence, ainsi que les nombreux événements qui l'ont précédé, et la brutale riposte qui a suivi.
Deux mois avant l'attaque du Hamas, plusieurs collègues et moi-même avons lancé une pétition intitulée "
L'éléphant dans la pièce". Signée par près de 3 000 personnes, dont de nombreux chercheurs éminents, des chefs religieux et des personnalités publiques, la pétition avait été rédigée à la suite des manifestations en Israël contre la tentative de réforme judiciaire, un coup d'État gouvernemental visant à affaiblir le système judiciaire et à renforcer le pouvoir exécutif. Nous avons averti que l'éléphant dans la pièce était la situation d'occupation vécue par des millions de Palestiniens et que la prétendue réforme judiciaire était poussée par une faction extrémiste de colons d'extrême droite dont l'objectif à terme était d'annexer la Cisjordanie. Pourtant, le mouvement de protestation impressionnant qui s'était levé en Israël contre le coup d'État judiciaire avait à peu près totalement refusé de prendre en compte cette question.
Le 7 octobre, la réalité refoulée des Palestiniens vivant sous le règne israélien direct ou indirect a littéralement éclaté au visage du pays. De ce point de vue, bien que j'aie été choqué et horrifié par la brutalité de l'attaque du Hamas, je n'ai pas du tout été surpris par son occurrence. C'était un événement attendu. Si vous maintenez plus de deux millions de personnes assiégées pendant 16 ans, entassées dans une étroite bande de terre, sans emploi suffisant, sans assainissement adéquat, sans ressources suffisantes en nourriture, eau, énergie et instruction, sans espoir ni perspectives d'avenir, vous ne pouvez vous attendre qu'à des explosions de violence de plus en plus désespérées et brutales.
Certains ont qualifié les événements du 7 octobre de pogrom. C'est un usage faux, trompeur et idéologiquement surdéterminé du terme. Le terme pogrom a été initialement énoncé s'agissant des attaques contre les communautés juives, notamment dans le sud de la Russie et en Ukraine, par des foules radicalisées, parfois avec le soutien des autorités étatiques. Depuis, il a également été utilisé pour désigner des mouvements de foules contre d'autres minorités ailleurs. Une raison de la naissance du sionisme, en même temps que la montrée du sentiment national, était précisément ces pogroms, qui ont commencé au début des années 1880 et ont conduit aux premières installations laïques en Palestine ottomane.
Le sionisme visait à créer un État majoritairement juif, où les pogroms ne seraient plus possibles par définition, puisque les autorités politiques, militaires et policières seraient toutes juives. Aussi, utiliser ce terme pour qualifier l'attaque terroriste du Hamas est totalement anachronique. Mais la raison pour laquelle il est tant utilisé aujourd'hui a à voir avec l'évocation, intentionnelle ou inconsciente, de la violence antisémite la plus meutrière et spécifiquement de la Shoah, l'événement même qui a joué le plus directement pour l'établissement de l'État d'Israël. En disant "pogrom", on attribue au Hamas, et par extension à toutes les autres organisations palestiniennes, voire aux Palestiniens en général, un antisémitisme implacable caractérisé par une prédilection vicieuse, irrationnelle et meurtrière pour la violence, dont le seul but est ainsi de tuer des Juifs. En d'autres termes, selon cette logique, il n'y a pas de place pour la discussion avec les Palestiniens. Soit ils nous tuent, soit nous les tuons, ou du moins nous les enfermons derrière des murs et des barbelés.
Une autre analogie a été établie entre l'attaque du Hamas du 7 octobre 2023 et l'assaut réalisé cinquante ans plus tôt (le 6 octobre 1973) par les armées égyptienne et syrienne, conflit auquel j'ai participé en tant que soldat. Il y a des similitudes et des différences entre ces deux événements. Dans les deux cas, Israël a été pris au dépourvu en raison d'une doctrine stratégique selon laquelle il pouvait aisément faire face aux menaces militaires sans avoir besoin de faire des concessions politiques et territoriales. Le président Anouar el-Sadate d'Égypte essayait de convaincre Israël de rendre la péninsule du Sinaï, capturée en 1967, en échange de la paix. Mais la politique d'Israël, comme l'a tristement résumé à l'époque le ministre de la Défense Moshé Dayan, était qu'"il valait mieux garder Sharm el-Sheikh sans paix que d'avoir la paix sans Sharm el-Sheikh". Cette euphorie de la puissance, née de la victoire si surprenante lors de la guerre des Six Jours, a coûté la vie à 3 000 soldats israéliens, dont certains étaient mes camarades de classe.
De manière similaire, avant l'attaque du Hamas du 7 octobre, les politiciens et généraux israéliens croyaient qu'ils pouvaient "gérer le conflit" avec les Palestiniens plutôt que de chercher à le résoudre. À Gaza, cela se ferait en "tondant la pelouse" occasionnellement, c'est-à-dire en déclenchant des phases de destruction depuis les airs pour maintenir le Hamas à sa place. En effet, les multiples gouvernements dirigés successivement par Netanyahu ont choisi de maintenir le Hamas juste assez fort et de garder l'Autorité palestinienne en Cisjordanie juste assez faible et impopulaire pour pouvoir affirmer qu'aucun règlement politique avec les Palestiniens n'était possible. Pendant ce temps, les colonies continuaient de proliférer dans les territoires occupés, rendant tout compromis territorial de plus en plus irréalisable.
En d'autres termes, dans les deux cas, la violence était le résultat d'une impasse politique choisie par Israël,
informée par l'illusion de détenir une supériorité militaire écrasante. La principale différence entre ces deux événements est qu'en 1973, Israël a été attaqué par deux grandes armées, avec des blindés, de l'artillerie et des avions de chasse, tandis que cette fois-ci, il a été attaqué par des insurgés dotés uniquement d'armes légères et de roquettes. Contrairement à 1973, Israël ne fait pas face à nulle menace existentielle de la part du Hamas. Mais en raison de son incapacité à envisager une résolution politique du conflit analogue à celle qu'il a été contraint d'accepter après 1973, Israël fonce à tête baissée dans un conflit régional qui pourrait avoir des répercussions majeures tant pour sa sécurité que pour sa stabilité interne.
L'actuel assaut terrestre d'Israël dans la bande de Gaza et les violents combats qui s'ensuivent, la destruction et les déplacements de population que cette opération a entraînés, pourraient à tout moment provoquer une implication du Hezbollah encore plus grande que ce que nous avons vu jusqu'à présent. Cette milice chiite libanaise soutenue par l'Iran constitue une force militaire bien plus puissante que le Hamas et est armée d'environ 150 000 roquettes et missiles. Les milices iraniennes en Syrie pourraient également s'impliquer, et comme nous l'avons récemment constaté, les Houthis chiites yéménites, également soutenus par l'Iran, ont commencé à s'attaquer à Israël avec des missiles à longue portée et à saisir des navires de marchandises dans la Mer rouge. Pendant ce temps, en Cisjordanie occupée, la violence croissante des colons, souvent soutenue par des unités militaires locales, pourrait déclencher une autre Intifada, accélérant ainsi les tentatives des colons israéliens de conduire le nettoyage ethnique de ces territoires. Cela pourrait à son tour entraîner une escalade de la violence dans les villes mixtes d'Israël, où vivent côte à côte des citoyens juifs et palestiniens, comme cela s'est déjà produit en mai 2021. Israël fera ainsi l'expérience d'une violence et d'une destruction à long terme à une échelle inconnue depuis 1948, augmentées de conséquences régionales et internes imprévisibles mais sans aucun doute profondes.
Le président américain Joe Biden a récemment fait une autre analogie, que Israël a été ravi d'accepter, entre la guerre en Ukraine et les événements suivant le 7 octobre. Supposément, comme il l'a suggéré, Israël et l'Ukraine sont deux démocraties que les États-Unis sont obligés de soutenir contre des forces obscures, autoritaires ou religieusement fanatiques. En réalité, les deux situations sont exactement inversées. L'Ukraine, un pays indépendant, souverain et démocratique, a été envahie par son voisin la Russie, un État autocratique nanti d'une longue histoire impériale et d'objectifs expansionnistes. En revanche, bien qu'Israël soit une démocratie pour ses sept millions de citoyens juifs, à la veille de l'attaque du Hamas, il faisait face à une tentative de coup d'État judiciaire de son propre gouvernement, visant à le transformer en une démocratie illibérale sur le modèle de la Hongrie. De plus, les deux millions de citoyens palestiniens du pays n'ont jamais joui de tous leurs droits démocratiques. Quant aux trois millions de Palestiniens vivant sous une occupation israélienne depuis 56 ans en Cisjordanie, ils n'ont à peu près aucun droit. Et les deux millions de Palestiniens à Gaza vivent sous un siège israélien depuis plus d'une décennie et demie. En d'autres termes, alors que certaines parties de l'Ukraine ont été occupées par la Russie, Israël occupe la Cisjordanie et Gaza depuis 1967 et n'est depuis sa création en 1948 une démocratie complète que pour les Juifs (les citoyens palestiniens d'Israël ont vécu sous le régime militaire jusqu'en 1966, facilitant la prise de contrôle par les autorités israéliennes de la majeure partie de leurs terres). Par conséquent, l'analogie entre les deux situations est fausse. L'attaque du Hamas, aussi horrible et barbare soit-elle, doit être considérée comme une réponse aux politiques d'occupation et de siège d'Israël, ainsi qu'au refus total des gouvernements de Netanyahu de trouver une solution politique au conflit ces dernières décennies. Nous devrions être capables de condamner le terrorisme du Hamas et de condamner simultanément l'intransigeance et la violence israéliennes envers les Palestiniens en même temps, et de comprendre que le premier est une réponse au second, même si le Hamas, spécifiquement, est une organisation dédiée au remplacement violent d'Israël par un régime palestinien islamiste.
Pour moi, en tant qu'historien, il est important de placer les événements actuels dans le contexte adequat et de diagnostiquer au mieux leurs causes profondes. Un mauvais diagnostic de ces causes, ou un franc déni, ne fera qu'aggraver les choses. Il semblerait qu'en raison précisément de ce mauvais diagnostic ou de ce déni, Israël soit actuellement en équilibre sur un précipice, comme un nombre croissant de commentateurs bien informés le pressentent (voir par exemple la
tribune de Thomas Friedman dans le New York Times). La possibilité d'un conflit régional, voire mondial, gagne en crédibilité. Ce qui aggrave encore les choses est le déplacement forcé par Israël de plus d'un million de civils - dont la majorité sont des réfugiés palestiniens de la Nakba de 1948 et leurs descendants - de leurs foyers dans la partie nord de Gaza vers la partie sud, alors que l'armée israélienne a réduit désormais une grande partie de cette même partie nord en ruines. Selon la plupart des décomptes, Israël a déjà tué dix fois plus de Palestiniens, dont de nombreux enfants (qui représentent 50 % de la population totale de Gaza), que ceux tués par le Hamas. Plus récemment, les Gazaouis déplacés dans la partie orientale de la bande de Gaza méridionale ont été ordonnés de se déplacer vers sa partie occidentale, ajoutant encore plus à la congestion. Cette politique militaire crée une crise humanitaire intenable, qui ne fera qu'empirer avec le temps. La population de Gaza n'a nulle part où aller et les infrastructures de subsistance du territoire sont en train d'être méthodiquement détruites.
Pour justifier ces actions, les dirigeants et généraux israéliens ont fait des déclarations terrifiantes. Le 7 octobre, le Premier ministre Benjamin Netanyahu a déclaré que les Gazaouis paieraient un "prix énorme" pour l'attaque du Hamas et que l'armée israélienne transformerait certains des centres urbains densément peuplés de Gaza en ruines. Le 28 octobre, citant le Deutéronome, il a ajouté: "Vous devez vous souvenir de ce qu'Amalek vous a fait." Comme le savent beaucoup d'Israéliens, en représailles à l'attaque d'Amalek, la Bible appelle à "tuer hommes et femmes, enfants et nourrissons". Le président israélien Yitzhak Herzog a condamné tous les Palestiniens de Gaza : "C'est une nation entière là-bas qui est responsable. Ce n'est pas vrai, ce discours sur les civils qui ne sont pas au courant, pas impliqués. Ce n'est absolument pas vrai." Le ministre israélien de l'Énergie et des Infrastructures, Israel Katz, a déclaré de manière similaire : "Aucun interrupteur électrique ne sera allumé, aucun source d'ean ne sera ouverte et aucun camion-citerne ne rentrera, jusqu'à ce que les otages rentrent chez eux." Le député Ariel Kallner a écrit sur les réseaux sociaux le 7 octobre : "En ce moment, un seul objectif : la Nakba ! Une Nakba qui surpassera la Nakba de 48. Nakba à Gaza et Nakba à quiconque osera se joindre !" Personne au gouvernement n'a dénoncé cette déclaration. Au lieu de cela, le 11 novembre, le membre du cabinet de défense et ministre de l'Agriculture, Avi Dichter, a réitéré : "Nous mettons maintenant en œuvre la Nakba de Gaza."
Le ministre de la Défense d'Israël, Yoav Gallant, a déclaré le 9 octobre : « Nous luttons contre des animaux humains et nous agirons en conséquence », une déclaration manifestant une déshumanisation qui ne peut que faire penser à la perspective d'un génocide. Il a ensuite annoncé qu'il avait « levé toutes les restrictions » concernant l'action des forces israéliennes et que « Gaza ne retournera pas à ce qu'elle était avant. Nous éliminerons tout ». Le 10 octobre, le chef de la Coordination des activités gouvernementales dans les territoires (COGAT) de l'armée israélienne, le major-général Ghassan Alian, s'est adressé à la population de Gaza en arabe, déclarant : « Les animaux humains doivent être traités en tant que tels. Il n'y aura ni électricité ni eau, il n'y aura que destruction. Vous vouliez l'enfer, vous aurez l'enfer ». Le même jour, le porte-parole de l'armée israélienne, Daniel Hagari, a annoncé que dans la campagne de bombardements à Gaza, « l'accent est mis sur les dommages et non sur la précision ». Également le 10 octobre, le major-général Giora Eiland à la retraite a écrit dans le quotidien à grande diffusion Yedioth Ahronoth : « L'État d'Israël n'a pas d'autre choix que de transformer Gaza en un endroit temporairement ou définitivement impossible à vivre », ajoutant que « créer une grave crise humanitaire à Gaza est un moyen nécessaire pour atteindre l'objectif », et que « Gaza deviendra un endroit où aucun être humain ne pourra exister ».
Dans un autre article du même journal, le 19 novembre, Eiland a écrit : « Israël ne combat pas une organisation terroriste mais l'État de Gaza ». Le Hamas, a-t-il argumenté, « a réussi à mobiliser... le soutien de la plupart des habitants de son État... avec le plein soutien de son idéologie. En ce sens, Gaza ressemble beaucoup à l'Allemagne nazie ». Cela l'a amené à conclure que « le combat doit être mené en conséquence ». Selon lui, « la manière de gagner cette guerre plus rapidement et à moindre coût pour nous nécessite l'effondrement des systèmes de l'autre côté, pas la mort de plus de combattants du Hamas. La communauté internationale nous met en garde contre une catastrophe humanitaire à Gaza et contre de graves épidémies. Nous ne devons pas être dissuadés par cela ». En effet, « de graves épidémies dans le sud de la bande de Gaza rapprocheront la victoire et réduiront le nombre de victimes de l'armée israélienne ». Eiland a insisté sur le fait que « lorsque des hauts responsables israéliens déclarent aux médias 'c'est soit nous, soit eux', nous devrions préciser qui sont 'eux'. 'Eux' ne sont pas seulement les combattants armés du Hamas mais... toute la population de Gaza qui a soutenu avec enthousiasme le Hamas et applaudi les atrocités survenues le 7 octobre ».
Encore une fois, aucun porte-parole de l'armée ou politicien n'a dénoncé ces déclarations génocidaires. Je pourrais en citer beaucoup d'autres. Lorsqu'on a demandé à l'ancien Premier ministre israélien Naftali Bennett sur Sky News : « Que dire de ces Palestiniens à l'hôpital qui sont sous assistance vitale et des bébés dans des couveuses dont l'assistance vitale et les couveuses devront être éteintes parce que les Israéliens ont coupé l'électricité à Gaza ? », il a répondu en criant : « Êtes-vous sérieusement... en train de me demander à propos des civils palestiniens ? Qu'est-ce qui ne va pas chez vous ? N'avez-vous pas vu ce qui s'est passé ? Nous luttons contre des nazis ».
En bref, la rhétorique et les actions israéliennes préparent le terrain pour ce qui pourrait bien devenir un massacre de masse, un nettoyage ethnique et un génocide, suivi d'une annexion et d'une colonisation du territoire. Dans cet esprit, le Forum Kohelet de politique publique, un groupe de réflexion ultra-conservateur aux États-Unis, étroitement impliqué dans les projets de réforme judiciaire lancés par le gouvernement de Netanyahu en février 2023, se replace maintenant dans le cadre d'un prétendu effort humanitaire visant à « relocaliser » les réfugiés palestiniens de Gaza dans d'autres pays du monde où, suggère-t-il, ils vivront beaucoup mieux, laissant ainsi la bande de Gaza aux colons juifs. Dans le même esprit, un capitaine de l'armée israélienne a été filmé le 9 novembre sur une plage de Gaza déclarant à de jeunes officiers : « Nous sommes revenus, nous avons été expulsés d'ici il y a presque 20 ans [quand Israël a évacué unilatéralement ses colonies dans la bande de Gaza]. Nous avons commencé cette bataille divisés et nous l'avons terminée unis. Nous nous battons pour la Terre d'Israël. C'est notre terre ! Et voilà la victoire, retourner sur nos terres ».
Il existe de nombreux autres membres du gouvernement, de la Knesset et de l'armée qui aimeraient voir le peuple palestinien, en tant que tel, disparaître de la carte et des consciences. Cela n'est pas encore arrivé et peut être évité. Les États-Unis continuent de plaider en faveur d'une solution à deux États. Mais dans les circonstances actuelles, il est crucial de continuer à mettre en garde contre le potentiel de génocide avant qu'il ne se produise, plutôt que de le condamner tardivement après qu'il se soit déjà produit.
Depuis l'invasion à grande échelle de Gaza par l'armée israélienne, les pertes parmi la population civile n'ont cessé d'augmenter. Et bien que l'armée ait initialement progressé plus rapidement que prévu, la probabilité qu'elle s'enlise à Gaza est considérable, et le Hezbollah en profite pour intensifier ses attaques dans le nord. Cela pourrait signifier qu'Israël devra faire face non seulement à une crise militaire mais également à une crise économique croissante, avec des centaines de milliers d'hommes et de femmes à l'armée plutôt que dans leurs lieux de travail, et un soutien international qui s'effrite rapidement.
Bien qu'il soit souhaitable de retirer le Hamas de Gaza en tant que force dominante politique et militaire, il est loin d'être certain qu'Israël parviendra à l'« éradiquer » entièrement, ce qui est décrit comme l'objectif principal de la guerre. Le Hamas est à la fois un mouvement violent qui utilise la terreur contre des civils à des fins politiques et une organisation sociale qui gère toute l'infrastructure de Gaza, des écoles aux services de santé en passant par l'assainissement et la police. Mais même si le Hamas est évincé de Gaza comme l'a été l'OLP de Beyrouth, le gouvernement israélien n'a pas de plan connu pour ce qui se passerait ensuite. Qui prendrait le relais ? Les Israéliens ne veulent pas s'occuper du territoire et même s'ils essaient, comme ils l'ont fait par le passé, ils ne pourront pas le faire longtemps. L'Égypte ne veut pas avoir la responsabilité directe de la Bande de Gaza. Et l'Autorité palestinienne a été considérablement affaiblie par Israël et sera perçue comme son agent si elle conduite à reprendre Gaza. En bref, Israël semble avoir un plan militaire très risqué et aucun plan politique. Il ne peut blâmer que lui-même - notamment Netanyahu, mais aussi la direction militaire - d'en être arrivé à ce point.
Comme l'a écrit le grand théoricien militaire prussien Carl von Clausewitz il y a près de deux cents ans, la guerre est l'extension de la politique par d'autres moyens. Une guerre sans objectifs politiques clairement définis se transformera en une guerre absolue, ce qui signifie une guerre de destruction et d'annihilation. Dans le cas de l'invasion d'Israël à Gaza, le strict respect par forces israéliennes des lois et coutumes de la guerre, telles que définies dans les Conventions de Genève de 1949 et les protocoles ultérieurs, aurait probablement rendu la progression militaire très difficile. Aussi cela n'a-t-il pas été la voie choisie et les preuves disponibles indiquent que l'armée israélienne viole lourdement ces accords, dont Israël est pourtant signataire. Il n'est pas étonnant qu'il rencontre une critique internationale croissante et puisse perdre rapidement le soutien populaire aux États-Unis, une circonstance qui finira par se refléter également dans les réponses et actions de l'administration américaine. La seule issue à ce dilemme est pour Israël de déclarer clairement qu'il a un objectif politique en tête : une résolution pacifique du conflit avec un leadership palestinien approprié et disposé à parvenir à la paix. Faire une telle déclaration transformerait instantanément la situation et ouvrirait la voie à des étapes intermédiaires sur le terrain, la première étant un arrêt des tueries et le retour de tous les otages survivants.
Cependant, une telle réorientation politique d'Israël semble très improbable à l'heure actuelle, surtout sous la direction gouvernementale actuelle, qui est aussi extrêmiste qu'incompétente. À ce stade, notamment en raison de la rhétorique enflammée en Israël, y compris énoncée par de nombreux commentateurs de gauche choqués par le massacre du 7 octobre, il est crucial qu'une pression morale soit exercée sur les décideurs israéliens et leur électorat pour qu'ils renoncent ce qui va inévitablement aboutir à des crimes de guerre, des crimes contre l'humanité, un nettoyage ethnique, voire à un génocide.
Dans les décennies qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale et la défaite du nazisme et du fascisme, les historiens et les intellectuels ont souvent critiqué leurs prédécesseurs pour avoir manqué de courage pour s'opposer à leurs gouvernements et au sentiments populaire qui les ont installé, et pour avoir omis de prédire ce qui était clairement sur le point de se produire. En tant qu'historien de la Shoah, j'ai appelé le Mémorial de l'Holocauste des États-Unis à Washington, DC, et Yad Vashem à Jérusalem, à se positionner à l'avant-garde de ceux qui mettent en garde contre les violations israéliennes des droits de l'homme et du droit international, actuellement légitimées par les dirigeants politiques et militaires israéliens et autres têtes parlantes à la télévision et les médias sociaux. J'ai exhorté ceux qui se consacrent à la l'étude et à la commémoration de la Shoah à mettre en garde contre la rhétorique déshumanisante en Israël dirigée contre la population de Gaza, dont on appelle littéralement à l'extinction. J'ai également appelé à condamner la violence croissante en Cisjordanie, perpétrée par des colons radicalisés et des troupes militaires, qui penche également vers un nettoyage ethnique à l'ombre de la guerre à Gaza. Mais pour l'instant, tout ce que nous entendons de ces universitaire est le silence.
Il convient également de dire que l'atmosphère actuelle sur les campus américains concernant la question israélo-palestinienne est une autre source de préoccupation. Certains universitaires et militants autoproclamés de gauche et partisans de la Palestine ont loué les odieux massacres commis par le Hamas et ont complètement rejeté le droit d'Israël à défendre ses citoyens en attaquant le Hamas, qui se cache parmi les civils dans la densément peuplée bande de Gaza. D'autres ont montré un manque remarquable d'empathie envers les centaines de victimes et d'otages juifs. En effet, les condamnations des bombardements israéliens sur Gaza ne mentionnent souvent même pas l'attaque du 7 octobre.
À l'inverse, les partisans d'Israël, principalement des Juifs, tandis qu'ils se sentent profondément trahis par des collègues libéraux qui n'ont aucune sympathie pour les victimes du 7 octobre et puissent être ambivalents quant à l'immense destruction causée par les forces israéliennes à Gaza, refusent généralement de reconnaître les causes politiques profondes de cette situation. En effet, ils tombent souvent dans des clichés familiers, trop courants en Israël, faits de barbarie palestinienne, arabe et musulmane, et d'antisémitisme éternel et universel, qu'ils détectent également chez certains de leurs propres collègues libéraux.
Ce qui semble faire défaut, c'est une conversation entre ces deux groupes, aucun desquels n'est, après tout, directement affecté par la violence ; ils semblent plutôt refléter la même incapacité à envisager la perspective de l'autre qui caractérise la région elle-même. En effet, la lamentable propension académique généralisée à prendre des positions à bas coût en faveur de causes justes, une sorte de droit à l'indignation à bon marché, a atteint de nouveaux sommets depuis le déclenchement actuel de la violence. Plutôt que d'instruire leurs étudiants sur les réalités complexes de la région, certains professeurs semblent inciter à la colère et à la rage, tandis que les équivoques des présidents d'université, y compris le mien, craignant de déplaire à leurs donateurs ou d'irriter un côté ou l'autre parmi le corps professoral et les étudiants, n'ont satisfait personne. C'est un triste spectacle.
Le début de la fin de ce conflit et le retour de la politique pourraient commencer par des négociations pour libérer les otages, comme semble le démontrer la situation actuelle. L'argument selon lequel lier la stratégie militaire au retour des otages ne ferait qu'encourager le Hamas et d'autres à les garder, voire à en prendre d'autres, est faux à plusieurs égards. Premièrement, il est clair que le Hamas veut échanger des otages contre ses propres prisonniers, dont beaucoup sont âgés et sont détenus dans les prisons israéliennes depuis des décennies, tandis que d'autres sont très jeunes. Deuxièmement, il est impensable qu'Israël ignore simplement le sort des otages, qui comprennent des personnes âgées et malades, des enfants et même des bébés ; le retard dans les négociations jusqu'à présent démontre une certaine insensibilité du gouvernement israélien qui le caractérise également dans d'autres sphères.
Les déclarations faites par certains responsables militaires et autres observateurs, selon lesquelles la question des otages ne devrait être abordée qu'à la fin de la guerre, c'est-à-dire quand la plupart des otages seront certainement morts, ont déjà eu un effet démoralisant majeur sur les familles des otages et la population israélienne dans son ensemble, notamment les nombreuses familles dont les fils et filles sont envoyés au combat et pourraient être capturés. Même pour ce gouvernement à la fois sans cœur et inepte, choisir une telle politique ne peut être décrit que de rares inhumanité et stupidité. Tous les efforts doivent être déployés pour libérer les otages dès maintenant. De plus, de tels efforts peuvent signaler le début de négociations sur d'autres aspects du conflit, plutôt qu'un signe de défaite.
Malgré la violence terrifiante et l'intransigeance destructrice des deux côtés et de leurs partisans, l'objectif doit être un règlement pacifique. Il y a un nombre égal de Juifs et de Palestiniens dans le territoire entre le Jourdain et la mer. Aucun des deux groupes ne va disparaître. Ils peuvent soit continuer à se tuer, soit trouver un moyen de vivre ensemble. Cela doit être l'objectif. Tous les rêves de faire disparaître l'autre côté ou de le soumettre à l'oppression de génération en génération ne produiront que plus de violence et une brutalisation croissante des deux sociétés. Même la simple affirmation de la volonté d'atteindre un accord a le potentiel de transformer le paradigme politique actuel. Le massacre en cours ne fera quant à lui qu'empirer les choses. Aucun coup d'État interne, et aucun accord politique externe – comme les relations avec les États du Golfe ou la paix avec l'Arabie saoudite – , ne réussira à faire passer sous silence la nécessité d'un règlement politique entre Palestiniens et Israéliens.
Pour l'instant, tout ce que nous pouvons faire, c'est plaider auprès de nos propres gouvernements pour qu'ils utilisent ce moment de crise profonde et d'effusion de sang horrifiante comme un levier pour contraindre Israël à mettre fin à sa politique d'occupation et d'oppression d'un autre peuple et à chercher des solutions créatives pour la coexistence, que ce soit dans deux États, un seul État ou une structure fédérative, qui garantiront la dignité humaine, l'égalité et la liberté pour tous.