Moulay Ismaïl et le Mumbo Jumbo.

Le Maroc Noir revisité

Hisham Aïdi

Conditions a le plaisir de mettre à disposition du lectorat francophone la longue recension du livre de Chouki El Hamel, Le Maroc noir. Une histoire de l'esclavage, de la race et de l'Islam, rédigée par Hisham Aïdi et originellement publiée dans la revue Islamophobia Studies Journal. En plus d'offrir une perspective critique sur un ouvrage ayant connu un important succès de librairie, l'article de Hisham Aïdi est un modèle de rigueur méthodologique et historiographique, seule à même de résister à l'exportation maladroite et parfois frauduleuse de grilles de lecture nord-américaine en d'autres contextes sociohistoriques. Il ne s'agit pourtant pas de prétendre que les sociétés maghrébines ne connaissent pas le racisme antinoir : si Hisham Aïdi déploie ainsi une vaste érudition quant à la question raciale au Maroc, il est néanmoins nécessaire de ressaisir celle-ci dans ses conditions de possibilités matérielles et historiques, lesquelles excèdent toute tentative de réductionnisme culturaliste et essentialiste.
Chaïbiya Talal, Personnage, 1966

Le Maroc est un arbre dont les racines plongent en Afrique et qui respire par ses feuilles en Europe

Hassan II, discours pour la Fête du Trône, 3 mars 1986



Dans son fameux roman Mumbo Jumbo (1972), Ishmael Reed fait la satire de la vieille peur de l'Amérique blanche quant à la contagiosité de la culture noire à travers le personnage de Jes Grew, un porteur insaisissable et irrésistible de soul et de noirceur, qu’il propage comme un virus contaminant tout sur son passage, de la Nouvelle-Orléans à New York[1]. Reed suggère que la source du fléau Jes Grew est un texte sacré, finalement localisé et détruit par une figure locale de Harlem nommée Abdul Sufi Hamid, "le Frère de la Rue". Le premier chapitre du Maroc noir de Chouki El Hamel rappelle l'intrigue d'Ishmael Reed, sauf que le pathogène mental est l'islam, plus précisément un mélange insidieux d'islam radical et de culture arabe ancestrale, qui se propage rapidement en infectant des terres lointaines et en répandant en leur sein le racisme anti-noir. Quant au texte sacré qui donne sa puissance au fléau, il s’agit vraisemblablement du Coran. El Hamel n'y va pas par quatre chemins : « Le phénomène de la race au Maroc est ancien ; il est aussi vieux que l'invasion arabe de l'Afrique du Nord au VIIe siècle ».

Le Maroc noir commence ainsi par un cri du cœur, un puissant J'accuse. Pendant près d'un millénaire et demi, l'Afrique du Nord a été tourmentée par un racisme anti-noir corrosif, né dans l'Arabie pré-islamique puis propagé par l'islam et les conquérants arabes. Et pourtant, peu sont disposés à en parler. Aussi l'auteur dénonce-t-il la « culture du silence » réputée caractériser l'histoire du pays en matière d'esclavage et d'identités composées, rejetant ainsi les innombrables historiens qui écrivent sur l'esclavage en Afrique du Nord pour en minimiser la cruauté. Le ton d'El Hamel est indigné et ses objectifs ambitieux, quoique mal définis. « Ma visée », déclare-t-il, « est de récupérer les histoires étouffées de l'esclavage en Afrique du Nord "islamique" [sic] et de remettre en question les lectures conventionnelles de l'esclavage dans l'islam et au Maroc ». Il ne définit jamais les frontières de "l'Afrique du nord", ni n'explique pourquoi il se concentre sur son caractère « islamique », par opposition au christianisme ou au judaïsme tous deux indigènes à l’Afrique du Nord ; est-ce parce que « l'Afrique islamique » est plus silencieuse sur l'esclavage que l'Afrique chrétienne ou animiste ? Cependant, tout au long du livre, le Maroc, avec son « refus de s'engager dans des discussions sur l'esclavage, les attitudes raciales et le genre », sert de conduit à une dénonciation plus large des attitudes arabes et musulmanes.

L'auteur décrit le Maroc comme un pays défini religieusement par la doctrine islamique et politiquement par le « nationalisme arabe », ce qui se traduirait comme par une "historiographie locale" présentant la société marocaine comme racialement et ethniquement homogène. El Hamel ne précise jamais à quelle éhistoriographie localeé ou quel énationalisme arabeé il fait référence. Compte tenu de l'opposition farouche du régime marocain au nassérisme et au baathisme, il aurait été utile de spécifier quelle tendance du nationalisme arabe le Makhzen est tenu pour défendre. L'affirmation selon laquelle un silence règne sur les questions de genres et d'identités au Maroc est également déconcertante, compte tenu des débats très animés depuis le début des années 1990 sur la langue et l'identité, le vernaculaire (darija) par rapport à la fusha (arabe classique), l'arabe, le français ou le tamazight, ainsi que sur le code de la famille, les lois contre le harcèlement sexuel et les droits des femmes. Pourtant, El Hamel trouve le silence collectif accablant - et beaucoup découle de cette prémisse artificielle.

El Hamel ne précise pas plus quelles sources locales sont silencieuses sur l'esclavage, mais il offre des preuves anecdotiques. Il mentionne une conférence à laquelle il a assisté à l'Université de Duke en 1999, lorsqu'un professeur marocain invité a déclaré qu'il n'y avait pas d’africanité (c’est-à-dire de conscience noire) au Maroc et en Tunisie. Le même professeur a prétendu que la Méditerranée était un « creuset », présentant apparemment la région comme une "société hybride et harmonieuse". El Hamel affirme que cette pensée équivaut à « éradiquer les vérités historiques entourant la race et l'esclavage » et constitue une injustice à l’égard de ceux qui ont été asservis. Il réprimande un autre co-panéliste, un universitaire libyen, qui qualifie la recherche occidentale sur l'esclavage en Afrique du Nord d'orientaliste, pour « décourager les Marocains de bénéficier de l'abondant héritage intellectuel occidental dans le domaine de la race, du genre et de l'esclavage ».

Malgré les appels d'El Hamel à « plus de rigueur universitaire », l'introduction du Maroc noir annonce la couleur : l’auteur fait usage d’un argument en forme d’« homme de paille », selon lequel la littérature nord-africaine sur l'esclavage est négationniste. Ce postulat n'est pas plus étayé (tout comme un certain nombre d'autres déclarations générales), les concepts et les positionnements critiques (souvent d'origine américaine) demeurent non définis, et le Maroc devient un substitut pour une discussion plus large sur le Maghreb, voire le monde islamique. Enfin, l’auteur aboutit à une défense troublante de la littérature occidentale sur la race et l'esclavage, dont certaines des thèses sont pourtant éminemment coloniales et racistes.

Il y a beaucoup à dire sur ce livre défectueux et cynique, mais je me concentrerai ci-dessous de six points : 1/ l'argument des « haines anciennes » dont El Hamel fait usage pour expliquer le racisme et l'esclavage au Maroc, en particulier le fil culturaliste qui traverse le livre, réduisant ainsi des processus économiques et politiques complexes à des croyances racistes ou théologiques ; 2/ l'affirmation d'El Hamel selon laquelle de nombreux travaux sur l'esclavage en Afrique du Nord prétendent que cette pratique y était bénigne ; 3/ la catégorisation par l’auteur des Marocains en trois catégories distinctes - Noirs, Arabes et Berbères ; 4/ son affirmation selon laquelle l'ordre soufi gnawa est une « diaspora » et un « groupe ethnique distinct » qui aspire à une patrie imaginaire ; 5/ son usage douteux des archives nationales et la manière sélective dont il rend compte des écrits classiques sur l'esclavage et la croyance aux jinns au Maroc ; et 6/ sa réticence à aborder comment la politique coloniale (et post-coloniale) a affecté la politique ethnique et raciale au Maroc.

Une note en marge sur le titre de cet article : dans son chef-d'œuvre, Mumbo Jumbo, publié il y a cinquante ans, Ishmael Reed moque la fascination de l'Occident pour l'histoire noire dans un récit fantastique qui voyage de Harlem à l'Afrique du Nord en passant par les Caraïbes (Haïti), et compte des fraternités religieuses, des pratiques vaudou et des figures de la Harlem Renaissance. Dans ce roman, le "mumbo jumbo" fait référence à la beauté de la culture noire syncrétique, au pouvoir de la "magie" mandingue pour guérir les esprits troublés, ainsi qu'au bavardage américain mainstream autour des survivances culturelles ouest-africaines dans le Nouveau Monde[2]. Le livre de Reed est une œuvre post-moderne et afro-futuriste de fiction, tandis que le volume d'El Hamel prétend être un ouvrage académique d’analyse rigoureuse. Cependant, le Maroc noir se lit souvent comme une image inversée de Mumbo Jumbo, racontant un périple vertigineux qui se déroule de l'Arabie à travers l'Afrique du Nord jusqu'au sud des États-Unis, mettant en scène des fraternités religieuses occultes, des pratiques de guérison mandingues et une infection culturelle/idéologique à travers l'espace et le temps. Suivant Reed, j'utilise le terme "mumbo jumbo" pour examiner le discours académique et politique entourant les liens historiques du Maroc avec l'Afrique de l'Ouest, un discours qui, dans ses formulations les plus imprudentes, s'aventure dans des tropes essentialistes et quasi-mystiques, décrivant le Maroc comme un arbre aux racines dans le Sahel et aux branches se balançant au gré de la brise européenne, ou posant l'islam comme un porteur du virus du racisme (et de son antidote).

Haines ancestrales

Le premier tiers du Maroc noir tient à l’affirmation que le racisme anti-noir est arrivé en Afrique du Nord avec l'avènement de l'islam. « Le phénomène de la race au Maroc », écrit El Hamel, « est aussi vieux que l'invasion arabe de l'Afrique du Nord au VIIe siècle ». Ce racisme anti-noir avait ainsi ses racines dans l'Arabie pré-islamique. Sa preuve de la haine anti-noire pré-islamique est que la majorité des esclaves de la péninsule étaient d'origine est-africaine (plusieurs historiens ont en fait contesté cette affirmation, notamment Hend Gilli-Elewy, qui écrit : "La grande majorité des esclaves à l'époque pré-islamique et au début de l'islam semblent avoir été des prisonniers de guerre arabes") (Gilli-Elewy 2017). El Hamel soutient que pendant la vie du Prophète Muhammad, cette haine envers les Noirs a disparu ou est restée cachée, pour resurgir après sa mort. Il affirme que « tout au long de l'histoire de l'islam », la discrimination liée à la couleur de peau était ancrée dans la malédiction hamitique - prétendument héritée des sources juives[3] - qui était utilisée pour « justifier et étendre » les préjugés raciaux pré-islamiques arabes et berbères. Les Berbères ont peut-être résisté aux conquêtes arabes avant le VIIe siècle, mais une fois l'invasion arabe survenue, les cultures « arabe et berbère » ont « trouvé une convergence idéologique » et utilisé l'islam « pour justifier les préjugés préexistants contre les Africains noirs ».

Il y a beaucoup à décortiquer dans ces phrases. Tout d'abord, méthodologiquement, il n'est pas clair quel est l'argument causal ou la variable causale dans le Maroc noir, étant donnée l'utilisation par l'auteur de catégories démesurément larges comme « l'islam » et « les facteurs culturels et ethniques ». El Hamel identifie « l'idéologie islamique », mais parle aussi d'« islam » et de « loi islamique », en tant que moteurs de l'esclavage et de l'oppression raciale, et ajoute que " »'autres facteurs culturels et ethniques figurent en bonne place dans la manière dont l'islam a été engendré ». Si les variables causales sont difficiles à cerner, il est clair que l’auteur propose un récit culturel-théologique, résolument non matérialiste et a-sociologique. El Hamel présente une variante de l'argument des « haines ancestrales», qui prétend que les groupes se battent et se brutalisent les uns les autres, pendant des siècles ou des millénaires, parce qu'ils se méprisent en raison de différences d'identité et de culture - ou dans ce cas, d'une différence de couleur de peau. Les sciences sociales ont pourtant largement discrédité la thèse des « anciennes haines », car décrire le racisme comme une habitude intemporelle et atavique n'explique pas les variations spatiales et temporelles de la violence ethnique ou raciale ; comment expliquer ainsi la période celle-ci reflue ou disparait ? (Varshney 2009). De plus, la thèse des haines ancestrales est fortement teintée d’essentialisme, car elle suggère que certaines communautés sont simplement condamnées à se battre les unes contre les autres.

Pourtant, El Hamel tient également à rappeler au lecteur que l'islam en tant que religion repose sur des "principes égalitaires et indifférents à la couleur" et transcende toutes les différences d'ethnicité et de couleur : « Le Coran met l'accent sur la fraternité de l'humanité ». Il souligne que la malédiction hamitique n'existe même pas dans le Coran, mais a pénétré l'islam via des textes juifs et des « mœurs culturelles » profondément enracinées qui ont refait surface après la mort du Prophète. El Hamel note qu'il y a eu des voix abolitionnistes tout au long de l'histoire de l'islam, mais que les "interprètes masculins mainstream partout dans le monde islamique ont prévalu contre cette voix éthique et ont fait exactement le contraire de ce dont le Coran avait l'intention." En mettant de côté la manière dont l'auteur sait ce dont le Coran avait l'intention, ses affirmations selon lesquelles "ni le Coran ni les Hadiths ne font de distinctions évaluatives entre les êtres humains" sont simplistes, compte tenu du long débat sur la manière d'interpréter les références aux esclaves et aux Noirs dans le Sahih Al-Bukhari par exemple. Le récit d'El Hamel contient un certain nombre d'affirmations et de leurs contraires : ainsi, El Hamel exonère l'islam, puis rejette la faute sur une anti-noirceur ancienne arabique (« préjugé culturel enraciné »), qui s'est répandue avec l'islam, et ce racisme a été renforcé en Afrique du Nord « islamique » par la pensée malikite et l'islam salafiste. Pour comprendre cette "idéologie islamique" d’essence raciste, El Hamel pointe du doigt l'école malikite et le salafisme, dont il est possible de retrouver la trace originelle jusqu'à l'Arabie. Il cite favorablement Nicole Cottait, historienne, qui affirme que le malikisme, façonné par ses racines bédouines, est hostile aux explications rationnelles et s'est implanté dans le Maghreb parce qu'il convient bien à la « mentalité berbère ».


Il est d'abord surprenant de voir El Hamel, dans sa discussion de la « malédiction hamitique », citer favorablement l'anthropologue Raphael Patai, auteur de l’ouvrage notoirement raciste The Arab Mind (1976), qui a été réimprimé à la veille de la guerre en Irak, fournissant le contexte intellectuel pour l’usage de la torture à Abu Ghraib. Cependant, à mesure que Black Morocco avance, le lecteur réalise qu'El Hamel reprend à son compte le type d’arguments cognitivistes que The Arab Mind faisait montre. Se penchant sur des constructions mentales pernicieuses qui ont vraisemblablement voyagé à travers les siècles et les continents, tout comme le virus psychique d'Ishmael Reed dans Mumbo Jumbo, El Hamel présente un postulat éminemment culturaliste et non matérialiste, où les préjugés primordiaux et les textes religieux expliquent non seulement le racisme et l'esclavage historiques au Maroc, mais aussi le silence contemporain entourant cette histoire. Les travaux culturalistes sophistiqués tendent à définir la culture (comme des normes, un discours ou des attitudes partagées) et à montrer comment elle interagit avec les facteurs politiques, économiques et institutionnels. L'argument d'El Hamel ne définit ni l'islam ni la culture, ne prend pas en considération l'économie politique ni les justifications étatiques du racisme et de l'esclavage, ni la manière dont les contextes économiques ou institutionnels peuvent façonner la compréhension des Ecritures sacrées qu'il mentionne. De même, l'invasion arabe du Maghreb occupe une place singulièrement importante dans son argumentation, mais il n'examine jamais le débat historiographique entourant cette invasion, son étendue, sa réalité et ses représentations mythologiques.

Il est à noter que l’ouvrage d'El Hamel semble être construit sur le modèle de deux livres. Le premier est A History of Race in Muslim West Africa, 1600–1960 de Bruce Hall, une histoire intellectuelle exhaustive des débats sur la race et l'esclavage au Sahel, qui visait à montrer comment le racisme anti-noir en Afrique de l'Ouest précédait la colonisation. Le Maroc noir tente une histoire similaire de « l'idéologie raciste » au Maroc (ou au Maghreb ?) à travers les siècles, mais comme expliqué ci-dessous, la focalisation géographique d'El Hamel est trop large et vague, et, contrairement à Hall, il ne prend pas suffisamment au sérieux les politiques coloniales. Le deuxième livre essentiel pour comprendre le Maroc noir est Soldats, domestiques et concubines: L'esclavage au Maroc au XIXe siècle de Mohammed Ennaji (1994) (traduit en anglais sous le titre Serving the Master: Masters and Slaves in 19th Century Morocco en 1999), qui prétend également briser le silence sur l'esclavage. Black Morocco se présente comme une suite assumée, voire une version américanisée du livre de Mohammed Ennaji. Publié deux décennies plus tôt, l’ouvrage d'Ennaji - que El Hamel décrit comme « pionnier » - est également axé sur les soldats esclaves de Moulay Ismaïl, la malédiction de Cham, les haratines, la loi islamique, les concubines, et les efforts bien intentionnés, bien que peu réussis, du colonialisme français pour interdire l'esclavage. El Hamel, comme nous le verrons, apporte quelques éléments américains à la structure argumentative d'Ennaji, mettant par exemple l'accent sur le rôle de "la race" et de "la noirceur" (Ennaji pensait qu'en ce qui concerne les relations entre les Marocains noirs et non noirs, le statut social jouait un rôle plus important que la couleur de peau). Mais les deux livres ont en commun de porter le plus vif intérêt à la persistance des attitudes mentales inspirées par la religion.

L’Islam et l'Occident

En constituant ainsi l'esclavage en "Afrique islamique" comme une sorte d'image-miroir de l'esclavage transatlantique, le récit d'El Hamel repose sur un cadre orientaliste implicite – et parfois explicite. Il devient vite évident qu'El Hamel voit non seulement de nombreux parallèles dans la façon dont la race fonctionne en « islam » et en « Occident » (les références au Brésil, à Haïti et au Sud des États-Unis abondent dans Le Maroc noir, tout comme les concepts tirés de la sociologie américaine comme la « mort sociale » de l'universitaire d'Harvard Orlando Patterson), mais il pense aussi que le concept même de « race » peut avoir son origine à l'Est et s'être propagé vers l'Ouest (c'est un autre motif orientaliste : l'Orient comme source). Comme il l'écrit, "le concept euro-américain de la race et sa critique sont applicables aux sociétés islamiques, car cette théorie elle-même a des racines dans la culture islamique voisine dans le bassin méditerranéen". El Hamel semble avoir adhéré à la théorie de James Sweet sur la race et ses "antécédents musulmans", et cite sa thèse selon laquelle l'idéologie raciale qui sous-tendait l'esclavage américain trouvait son origine dans le monde islamique du VIIIe siècle et s’est propagée vers le Nouveau Monde via l'Andalousie musulmane (Sweet 1997).

Cette thèse a été initialement avancé par l'anthropologue brésilien Gilberto Freyre dans son ouvrage fondamental, Les Maîtres et les Esclaves (Casa-Grande e Senzala 1933), qui pointait les racines mauresques de la civilisation brésilienne. Cependant, Freyre soutenait le contraire de Sweet - que les relations raciales brésiliennes étaient plus douces, plus harmonieuses et plus favorables à la "démocratie raciale" en raison de l'influence culturelle mauresque (voir Freyre 1964 ; Isfahani-Hammond 2008). Quelques décennies plus tard, les historiens latino-américains comme Octavio Paz ont on avancé la thèse contraire - que l'influence mauresque était ce qui condamnait l'Amérique latine au despotisme et à l'intolérance (Paz 1979, 128). Les deux versions de ce récit orientaliste ont maintenant été largement discréditées. Comme l'ont montré les historiens, l'intérêt pour "l'esclavage islamique" a commencé après les Guerres barbaresques, lorsque les abolitionnistes américains ont commencé à voir l'Orient comme une image-miroir de l'Amérique, et en particulier l'"Afrique islamique" comme un écran sur lequel projeter leurs peurs et leurs fantasmes raciaux (McDougall 2002). En fonction des circonstances et des intérêts matériels des acteurs, "l'esclavage islamique" était soit décrit comme infiniment plus cruel, soit comme plus bénin que son homologue occidental. En opérant au sein cette binarité, El Hamel aboutit logiquement à démontrer l'esclavage en Afrique du Nord était tout aussi cruel et accuse toute une série de chercheurs contemporains - qui remettent en question la division ontologique entre l'Islam et l'Occident - soit d'être défensifs, soit de dire que l'esclavage était "bénin".

El Hamel a recours à plusieurs stratégies argumentatives pour appuyer sa vision primordialiste de l'histoire marocaine. L'une d'entre elles est de faire usage « d’hommes de paille » pour réfuter les différences entre les systèmes d'esclavage en Afrique et aux Amériques. Ainsi, il dénonce Suzanne Miers et Igor Kopytoff, éditeurs de l’ouvrage influent Slavery in Africa: History and Anthropological Perspectives (1977), qui ont introduit un cadre pour examiner l'esclavage en Afrique le long d'un "continuum de l'esclavage à la parenté", où "le parent, l'adopté, le dépendant, le client et l'esclave" se côtoyaient et pouvaient fusionner les uns avec les autres. El Hamel rejette cet argument en disant qu'il traite "l'esclavage africain comme peu oppressant". Lorsque l'historien algérien Yacine Daddi écrit que les Français ont agi plus rapidement pour abolir "l'esclavage blanc [européen]" en Algérie que l'esclavage noir", El Hamel l'accuse de laisser entendre que l'esclavage dans la régence d'Algérie était bénin, et que "l'Algérie était exempte de préjugés et de discrimination raciale envers les Africains noirs" (242). El Hamel porte une charge similaire contre le défunt Ali Mazrui, politologue kényan qui a écrit sur les différences entre la servitude en Afrique de l'Est et en Arabie par rapport au Brésil ou aux États-Unis. Mazrui a notoirement observé que le "système de métissage racial descendant" du Sud des États-Unis n'existait pas dans les "sociétés arabisées" où "il n'existe pas de catégorie spécifique d'un groupe mixte comme les mulâtres, les métis ou les créoles des Amériques". Pour avoir identifié cette différence assez évidente, El Hamel accuse Mazrui, qui a par ailleurs beaucoup écrit sur les dictatures en Afrique et au Moyen-Orient, de dépeindre "le système arabe comme inclusif et tolérant".

El Hamel réserve l’essentiel de son ire vengeresse à Mohamed Hassan Mohamed, un chercheur soudanais spécialiste du Maroc. En 2010, Mohamed, alors chercheur invité à l'Université d'Agadir au Maroc et travaillant sur les réseaux commerciaux dans le sud du Maroc, a publié un long article de revue en deux parties dans le Journal of North African Studies sur l'histoire de l’analogie entre les traites négrières transatlantique et transsaharienne. (La première partie était intitulée "Africanists and Africans of the Maghrib: Casualties of Analogy.") (Mohamed 2010). Mohamed a fait plusieurs remarques : la comparaison entre la traite transatlantique et "l'esclavage islamique" a commencé avec le mouvement abolitionniste ; considérer le "trans-Sahara" comme similaire à la traite transatlantique repose sur une partition hégélienne et coloniale de l'Afrique, qui a divisé l'Afrique en "l'Afrique européenne", le territoire qui se trouve au nord du Sahara, "l'Égypte", cette terre qui est reliée à l'Asie, et "l'Afrique proprement dite", la terre située en dessous du Sahara. Cette cartographie a non seulement séparé l'Afrique du Nord de la "vraie Afrique", mais aussi, pour citer le philosophe sénégalais Souleymane Bachir Diagne, a établi le Sahara comme un espace vide et comme "un mur qu'il n'a jamais été" (Diagne 2016). Par suite de cette cartographie, les personnes noires dans le Maghreb (comme les Haratin) sont considérées dans une série de travaux européens comme des étrangers, une "diaspora", un "résidu d'esclaves anonymes d'Afrique de l'Ouest", ou selon les mots de Mohamed, les "victimes ultimes de l'analogie". (Mohammed a également noté que le terme Haratin est un exonyme, que les habitants de cette région n'utilisent pas pour se désigner eux-mêmes.)

En examinant les écrits occidentaux sur "l'esclavage islamique" du XVIIIe siècle à nos jours, Mohamed souligne la "textualité" aiguë de ces récits, c'est-à-dire la croyance qu'une fatwa médiévale ou une déclaration d'Ibn Khaldun ou d'Ibn Batutta façonne la réalité ethno-raciale des siècles plus tard, plus que des facteurs économiques ou politiques contingents. Mohamed remet également en question les "projections statistiques" de chercheurs comme Ralph Austen, John Hunwick[4] et Philip Curtin, qui ont estimé que des millions d'esclaves ont été emmenés d'Afrique subsaharienne en Afrique du Nord et au Moyen-Orient : en 1969, Philip Curtin a proposé une estimation de 11 millions pour la traite transatlantique ; inspiré par le travail de Curtin, Ralph Austen a estimé que 17 millions de personnes ont été déplacées de force à travers le Sahara, la mer Rouge et l'océan Indien[5]. L'historien H.J. Fisher, quant à lui, pense que le chiffre est "peut-être plus élevé au total que celui à travers l'Atlantique"[6]. Mohamed remet en question les modèles utilisés par ces chercheurs pour parvenir à ces chiffres disparates, et Il note l'impasse à laquelle ils arrivent, qu’ils l'admettent eux-mêmes : si des millions ont été transportés à travers le Sahara, la mer Rouge et l'océan Indien, comment expliquer l'absence de grandes populations noires en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, comparables à la population d'origine africaine d'un demi-milliard dans le Nouveau Monde ? L'explication donnée pour cette disparité, pour l'« absence » d'un important « résidu » noir dans la région MENA, est le concubinage. Mohammed demande dès lors comment l'institution de la concubinage (et par extension, les harems) peut expliquer la prétendue disparition de millions de personnes d'ascendance africaine.

Au lieu de répondre aux critiques de Mohammed sur les écrits occidentaux sur l'esclavage transsaharien, El Hamel, dans l'introduction de "Le Maroc noir", rejette le chercheur soudanais comme un « exemple clair » de quelqu'un dont le travail « tente de nier l'histoire de la traite transsaharienne et de l'esclavage en Afrique du Nord en général et au Maroc en particulier, et d'accuser l'Occident d'avoir fabriqué les maux sociaux du racisme et de l'esclavage en Afrique islamique ». El Hamel continue ensuite à reproduire les cadres et les tropes orientalistes que Mohammed met en garde - une fixation sur l'Afrique islamique, voir les Noirs en Afrique du Nord comme une « diaspora », parler du « passage du milieu du Sahara » et décrire le « Maroc et l'Afrique de l'Ouest noire, [comme] deux régions séparées par une mer de sable ». El Hamel met également l'accent sur la textualité (le livre comporte de longs passages sur le racisme dans les écrits d'Ibn Khaldun, d'Al-Jahiz et d'Ibn Batuta). Mais peu de temps après avoir rejeté certains chercheurs pour minimiser les horreurs de l'esclavage, El Hamel intègre négligemment leurs idées à son argumentation. Ainsi, en parlant de la formation de l'identité et de la généalogie au Maroc, El Hamel utilise l’air de rien l'idée de Mazrui d'une cooptation ascendante et le modèle « de l'esclavage à la parenté » de Miers et Kopytoff pour expliquer le rôle du concubinage.

Il est à noter que le livre de Ennaji, dont la démarche est adoptée par El Hamel, commence également par une large généralisation géographique et se plaint du « silence » et de l'« idéalisation du passé ». Ennaji affirme que le silence historique « dans ces régions du globe » est dû à un manque de documentation et à l'absence de conflits raciaux dans le monde arabe, ainsi qu'à une « vision artificiellement édulcorée de l'esclavage dans le monde musulman ». Il met également l'accent sur l'influence des croyances et des pratiques pré-islamiques, et utilise le même langage orientaliste, affirmant que la « mer caillouteuse du Sahara » était une « barrière impénétrable pour les Berbères, une frontière entre les Blancs et les Noirs ». Ces suppositions résonnent fortement dans "Le Maroc noir".

Genèse

L'ouvrage "Le Maroc noir" regorge de déclarations grandiloquentes sur les origines et l'identité des Noirs marocains. Par exemple, El Hamel écrit que « du XVIe siècle au début du XXe siècle », soit « au cours de quatre siècles, les Noirs ont migré volontairement, et beaucoup des Haratins étaient indigènes du nord du Sahara, mais la plupart étaient victimes de la traite transsaharienne vers le Maroc ». Il n'est pas clair comment les Haratins peuvent être à la fois indigènes du Sahara et descendants d'esclaves transportés à travers le Sahara. Il s'agit d'un débat ancien parmi les ethnographes coloniaux, certains suivant l'hypothèse hamitique et traçant les origines des Haratins et d'autres Berbérophones jusqu'aux Koushites d'Afrique de l'Est[7]. D'autres, comme l'anthropologue Gabriel Camps, parlaient de l'origine strictement autochtone des Haratins en tant que descendants d'Éthiopiens et de Libyco-Berbères (Camps 1970 cité dans Silverstein 2020), et d'autres encore prétendaient que les Haratins étaient les descendants d'esclaves émancipés et originaires de l’ensemble du Sahara (Nicolas 1977).

El Hamel ne semble pas pouvoir décider de quel côté de ce vieux débat colonial il veut se ranger et quel terme, « indigène » ou « diaspora », évoque davantage de souffrance. Quoi qu'il en soit, il ne fournit aucune preuve à l'appui de l'affirmation selon laquelle la plupart des Haratins sont les descendants de la traite transsaharienne. Une partie du problème réside à nouveau dans le fait qu'il ne prend jamais la peine de définir le terme « noir », suggérant que l'étiquette - tout comme l'institution de l'esclavage - est la même des deux côtés de l'Atlantique. Dans cette optique, El Hamel veut argumenter que, comme en Amérique, où les colons européens, à savoir les pèlerins chrétiens, ont apporté l'anti-noirceur et l'esclavage, l'esclavage en Afrique du Nord a été également propulsé par l'arrivée de l'islam et des envahisseurs arabes. Il écrit que « l'islamisation de l'Afrique du Nord a conduit à une augmentation considérable de la traite, en particulier dans la région transsaharienne », sans offrir à nouveau la moindre preuve. Après avoir affirmé que la plupart des Noirs marocains sont les descendants d'esclaves originaires du Sahel - une « diaspora noire d’Africains de l’Ouest », El Hamel observe que « les Noirs occupent généralement une position marginale dans la société marocaine : ils ont été historiquement stigmatisés et ségrégués professionnellement ». Cependant, il ne fournit aucune donnée sur la précarité économique ou politique des Noirs au Maroc, se contentant de dire que leur subordination découle de l'esclavage et est comparable à celle des descendants d'Africains aux Amériques.

Le déplacement des Noirs marocains, selon El Hamel, s'inscrit « dans les modèles afro-diasporiques transatlantiques ». Le paragraphe qui suit, où El Hamel essaie de faire entrer de force l'histoire marocaine dans un modèle transatlantique, contient une série d'affirmations étranges. Après avoir souligné la précarité des Noirs marocains, il affirme que « la conscience noire au Maroc est analogue à la conscience berbère et partage la notion arabe d'identité collective ». Il n'est pas clair en quoi l'identité collective est une « notion arabe », mais dans la mesure où il existe une conscience noire au Maroc - probablement exprimée à travers la musique Gnawa ? -, elle n'est pas similaire au nationalisme berbère, centré sur la langue et le récit de l'existence pré-islamique en Afrique du Nord. El Hamel s'enfonce davantage en affirmant que les Noirs au Maroc ont absorbé « certaines des valeurs arabocentriques exprimées dans l'interprétation dominante de l'islam afin de naviguer dans le discours arabocentrique ». On ne sait pas quelles « valeurs » arabocentriques il évoque, mais l'implication est que les esclaves transportés au Maroc n'étaient pas musulmans ou pas suffisamment musulmans et qu'ils ont adopté les valeurs de la société dominante pour survivre et, comme aux Amériques, ont fini par développer leur propre système de croyance syncrétique. Suit une série de propos pseudo-académiques : « Les Noirs marocains se perçoivent d'abord et avant tout comme des Marocains musulmans et se perçoivent seulement secondairement comme des participants à une tradition différente et/ou appartenant à un groupe ethnique, racial ou linguistique spécifique, réel ou imaginé. » On ne sait pas à quelle « tradition différente » ou à quel groupe ethnique ou racial les « Noirs marocains » appartiennent, en supposant qu'il existe un tel groupe indifférencié. L'auteur insiste, encore une fois avec peu de preuves, sur le fait que les Marocains d'ascendance esclave ont une identité collective distincte.

El Hamel conclut cette section par un non-sequitur : « Les Berbères sont dans une certaine mesure dans le même bateau que les Noirs marocains, mais aucun n'est dans le même bateau que les Arabes dominants. » Cette phrase, avec sa catégorisation à trois voies, reflète probablement le principal problème du livre : El Hamel divise les Marocains en trois groupes « délimités » - les Noirs, les Berbères et les Arabes - comme si on ne pouvait pas être à la fois noir et arabe, noir et berbère, ou les trois à la fois. Il ne prend même pas la peine de définir ces catégories - est-ce une identité linguistique, ethnique ou phénotypique ? Les identités sont simplement prises comme données, immuables et vraisemblablement génétiques. Sa déclaration selon laquelle les Noirs et les Berbères sont tous deux victimes des Arabes n'est pas non plus étayée (car de nombreux Arabes dits dominants sont des « Berbères » arabophones et des « Noirs » arabophones), mais cela reflète encore sa tentative de forcer l'histoire marocaine dans un cadre du Nouveau Monde où les Arabes sont les colons européens, les Berbères sont les Amérindiens, et les Noirs sont une diaspora africaine.

Un autre problème de l'analyse d'El Hamel, outre le manque flagrant d’appui sur des données ethnographiques ou empiriques, est l'absence de discussion de l'autoritarisme marocain, tant s’agissant du rôle du régime comme plus grand pourvoyeur d'oppression et de violence que d’ordonnanceur des différences ethniques et raciales. Il n'y a similairement aucune notion de classe, comme s'il n'y avait pas de Arabes pauvres et démunis, ou de Noirs ou de Berbères puissants dans l'État ou la société marocaine. Plutôt que d'examiner le pouvoir de l'État ou la hiérarchie du travail, El Hamel préfère ainsi des explications essentialistes, avançant des explications étymologiques particulières pour des phénomènes sociaux modernes. Ainsi, il voit un lien entre l'étymologie du terme « Amazigh » (qu'il dit signifier « blanc ») et le racisme anti-noir des Amazighs. Il ne fournit aucune source pour cette affirmation. Le terme « Amazigh » (pluriel : Imazighen), adopté par le mouvement berbère dans les années 1990 lors de la Journée des peuples autochtones des Nations unies, signifie « homme libre ». Les militants les plus en vue étaient parfaitement conscients qu'en certaines régions du nord du Mali et du sud-est du Maroc, le terme « Amazigh » signifiait non seulement « libre », mais aussi « libre de naissance » (c'est-à-dire, non esclave), et comportait des connotations racistes et suprémacistes. Mais il a été considéré qu'il s'agit d'utilisations hyper-locales du terme, et non le sens général d'« amazigh » (Chaker 1986). Aujourd'hui, de nombreux Noirs, du Maroc au Mali en passant par le Niger, se décrivent comme Amazighs et ne se considèrent probablement pas comme blancs. Pourtant, l'exploitation raciale et la hiérarchie du travail dans le sud-est du Maroc sont bien documentées. Comme Abdellah Hammoudi, Hsain Ilahiane et Paul Silverstein l'ont montré, les Marocains noirs mis au servage (les haratins) ont été longtemps exploités par les propriétaires terriens berbères à la peau plus claire et les élites religieuses. Une focalisation sur la classe et l'économie politique fournirait donc une explication plus convaincante du racisme amazigh que l'étymologie populaire. (Il convient de rappeler que, dans "Mumbo Jumbo", Ishmael Reed joue également sur les étymologies arabes, en louant un groupe appelé les Mu'tafikah, un jeu de mots sur l'arabe al-muthaqaf/a, qui ressemble à muthafucka, un mouvement internationaliste de libération dédié à ramener les objets non occidentaux des musées occidentaux dans leurs pays d'origine.)

El Hamel s’évertue également à décrire l'identité arabe en tant que blanche. Il critique Ali Mazrui qui a soutenu que le métissage en Arabie fonctionnait différemment qu'au Nouveau Monde, que les enfants métissés étaient cooptés vers le haut à condition que le père soit arabe, produisant ainsi des « Arabes » de différentes teintes. El Hamel tance le chercheur kényan pour avoir dépeint l'esclavage arabe comme inclusif, alors que la vérité est que la « société arabe » pouvait absorber les Coptes et les Berbères, mais que les Noirs - comme l'exemple du Maroc le montre - sont restés les « autres à l'intérieur ». Et, dans une autre manifestation d'orientalisme linguistique, El Hamel affirme que non seulement la « société arabe » a une catégorie pour les individus de race mixte (muwalad), mais que le muwalad a inspiré dans le Nouveau Monde le concept de mulâtre. Cette thèse relève également du sophisme, voire du mensonge simple. Le consensus académique est que mulâtre dérive de mula, signifiant mulet, l'hybride issu d'un cheval et d'un âne (Francis 2005). Et il y a peu de preuves que la langue arabe ait influencé la hiérarchie raciale en Alabama ou au Pérou. Plus généralement, El Hamel ne comprend pas ou ne représente pas correctement les thèses de Mazrui. En tant que Swahili (d'ascendance kényane-omane), Mazrui n’était que trop au fait du terme « muwallad » ; sa thèse était cependant qu'il n'existait pas de catégorie institutionnelle pour les Arabes de race mixte. Mazrui ne niait pas le racisme ou le colorisme, mais suggérait que l'identité arabe était d’abord basée sur la lignée et la langue.

Après avoir pourtant réfuté Mazrui à peu de frais, El Hamel applique ensuite de manière erronée sa thèse de la cooptation ascendante au Maroc, affirmant que c'est la « règle de la goutte d'eau » qui permet l'absorption ascendante des enfants marocains de race mixte. « La définition marocaine de la race accepte l'autre ou les Noirs dans la famille arabe tant qu'ils possèdent une goutte de sang arabe, ignorant apparemment leurs autres affiliations ethniques ou raciales. Au nom de vertus abstraites, ce processus d'assimilation a dissimulé le rejet de l'affiliation naturelle de l'“autre” et a fabriqué l'hégémonie arabe et l'unité politique en insistant sur le caractère sacré de la langue du Coran : l'arabe. » Cette déclaration est grotesquement fausse, une projection d'une institution américaine particulière sur l'Afrique du Nord, ce que les observateurs américains de l'esclavage en Afrique islamique font depuis le XVIIIe siècle. Nous l’avons dit, les orientalistes ont depuis longtemps vu l'Orient comme un miroir inversé de l'Occident ; or, El Hamel affirme naïvement que « le système marocain de définition raciale était clairement “racialiste” et était en fait une curieuse inversion du modèle racial occidental ». Sans même s’en rendre compte, El Hamel décrit ainsi avec acuité son propre regard.

L'ironie est que l'œuvre de Mazrui sur l'esclavage visait en grande partie à distinguer le régime racial swahili de ses homologues du Nouveau Monde - affirmant explicitement qu'il n'y avait pas de « règle de la goutte d'eau » dans l'islam, ou comme il l'a dit, pas de « syndrome de Chicken George », en allusion au personnage métissé de la série télévisée américaine des années 1970, "Roots". Comme prévisible, El Hamel accuse Mazrui de présenter l'esclavage "oriental" comme bénin, puis déforme l'analyse du savant kényan sur la cooptation ascendante pour soutenir que l'ordre racial au Maroc imite celui des États-Unis - contrairement à ce que disait Mazrui.
One Drop Ismail

Hélas, la thèse de "One Drop Ismail" est au cœur de la thèse d'El Hamel sur la race et la fondation de l'État marocain. Il écrit : "Pour illustrer la thèse de Mazrui, je cite un exemple typique des dirigeants marocains : le sultan Mawlay Isma‘il (1646–1727), dont la mère était une esclave noire (umm al-walad) mais qui se percevait néanmoins comme un descendant de Muhammad et donc pas noir." Comment l'auteur sait-il si Moulay Ismaïl s'identifiait ou non comme noir ? Que signifie s'identifier comme "noir" au Maroc au XVIIe siècle ? Comment sait-il qu'Ismail s'identifiait comme Arabe ? Pourquoi suppose-t-il qu'on ne peut pas être de peau foncée et d'ascendance sharifienne ? En discutant de Tombouctou, El Hamel ne dit pas ainsi que le grand monarque Mansa Musa du Mali n'était pas noir en raison de sa propriété de dix mille esclaves, car pour El Hamel, c'est l'identité arabe présumée de Moulay Ismaïl qui pose problème, et non son statut social. Seule l’arabité est intrinsèquement suprématiste et incompatible avec la "noirceur", quelle que soit la définition de celle-ci. Cette argumentation, répétons-le, est peu plausible à plusieurs égards. L'affirmation que les personnes noires ne peuvent pas revendiquer une ascendance sharifienne est contredite par la présence de dizaines de milliers de familles sharifiennes à travers le Sahel, l'Afrique de l'Ouest, la vallée du Nil et la côte swahilie. L'idée qu'une personne noire devrait s'identifier par la couleur de sa peau, et non par sa lignée, sa tribu ou sa langue, ou que les personnes noires ne peuvent pas être arabes (car les Arabes sont blancs, ou proches du blanc, comme cela est implicitement suggéré ici) reflète une compréhension américaine très particulière et essentialiste de l'arabité, en partie façonnée par le classement des personnes du Moyen-Orient et d'Afrique du Nord comme blanches par le Bureau du recensement américain depuis les années 1920 (Gualtieri 2009).

Le passage sur Moulay Ismaïl n'étant pas noir malgré sa peau foncée réfracte également dans le monde islamique les conceptions américaines de la race, et rappelle la série polémique "Wonders of Africa" du chercheur de Harvard Henry Louis Gates (1999), où il visite Zanzibar et affirme qu'un homme noir qui s'identifie comme Shirazi (perse) semble "aussi persan que Mike Tyson " (Aidi 2005). El Hamel semble travailler avec une définition nationaliste noire rigide de la "noirceur", selon laquelle être noir et "sémitique" ou "hamitique" sont incompatibles[8]. Peut-être est-ce un geste d’intervention lié la politique contemporaine, mais cela lui permet de dire que Moulay Ismaïl n'était pas noir, et que son asservissement des haratin a été un moment racial fondateur, lorsque le Maroc est devenu un État et une société racistes. "L'esclavage au Maroc a pris une tournure raciste sous Moulay Ismaïl", écrit El Hamel. C'est ce "racisme religieux codé par la couleur" qui a poussé Ismaïl à rassembler les haratin à la peau foncée pour les asservir, "bien qu'il sache qu'ils étaient islamisés". Et c'est à ce moment-là que les haratin sont devenus "noirs". El Hamel proclame : "C'est en effet une histoire d'une grande injustice contre un groupe particulier de Marocains qui avaient une couleur légèrement plus foncée que celle des Arabes et des Berbères". Cette affirmation selon laquelle le Maroc est devenu raciste seulement avec la politique de Moulay Ismaïl est pour le moins audacieuse, mais elle fait écho à Ennaji : ce dernier a également vu l'asservissement des haratin par Moulay Ismaïl comme un moment politique-éthique central de l'histoire marocaine : "Ce fait révèle un aspect essentiel de la société marocaine : l'asservissement de son propre peuple" (Ennaji 1995, 85).

El Hamel est conscient du vaste débat entourant le terme "Haratin". Parmi les multiples hypothèses et définitions sur l'origine du terme, il a retenu "couleur foncée" car cela correspond à son argument global. Il affirme que : "Les sources arabes marocaines soutiennent que tous les Noirs d'Afrique du Nord-Ouest étaient à l'origine des esclaves qui avaient été libérés dans différentes circonstances au fil du temps. Cependant, un groupe de Noirs - à savoir les haratin - n'aurait peut-être pas eu d'origine esclavagiste en Afrique subsaharienne, mais serait originaire du sud du Maroc". El Hamel ne fournit aucune source pour cette affirmation, préférant recourir à une étymologie populaire, et disant que Haratin dérive de "aharadan" signifiant peau foncée (certains disent "peau rouge") en amazigh. Selon le récit d'El Hamel, Moulay Ismaïl a envoyé des crieurs dans les rues des villes marocaines, appelant les esclaves (abid) qui avaient servi le Sultan Mansur al-Saadi à rejoindre l'armée royale, cette fois sous la direction d'Ismail. L'appel a attiré cinq mille hommes auxquels "on a donné des vêtements, des chevaux, des armes et un salaire". El Hamel dit que leur nombre n'était pas suffisant, "alors les responsables ont contraint plus de personnes noires à rejoindre l'armée". Le monarque a ordonné à ses agents d'asservir "tous les Noirs, même ceux qui étaient libres, y compris les haratin". Il indique ainsi que la catégorie "Haratin" comprend des esclaves libres et d'anciens esclaves, qui avaient légalement droit à leur liberté. "La couleur de leur peau et leur statut d'origine esclavagiste étaient les motifs de l'asservissement, quel que soit l'intégration de longue date des Noirs dans la société marocaine".

L'affirmation d'El Hamel selon laquelle Ismail était motivé par une logique raciste (ou coloriste) est révélatrice d’un changement dans la représentation académique et politique du monarque marocain. Un courant de pensée afrocentriste et nationaliste noir dépeint depuis longtemps le bâtisseur de l'État d'Afrique du Nord comme un leader noir qui a délibérément recruté des Marocains noirs dans son armée parce qu'il avait une affinité particulière pour les haratin, en raison de ses supposées racines dans le sud-est du Maroc. (El Hamel cite un fonctionnaire espagnol, captif au Maroc de 1708 à 1728, qui rapporte qu'Ismail avait survécu à une tentative d'assassinat par des "Marocains blancs" et avait ensuite juré de ne faire confiance qu'aux Noirs.) Dans un esprit similaire, l'historien guinéen Baba Ibrahim Kaké a soutenu il y a plus de cinquante ans que les Noirs avaient prêté allégeance à Ismaïl parce que sa mère était une esclave noire.

El Hamel n'est pas d'accord avec cet argument, affirmant que les soldats noirs ont peut-être été motivés par une "solidarité raciale", mais Ismaïl ne l'était certainement pas : "La couleur et l'origine de l'armée d'esclaves étaient purement fortuites en tant que marqueur significatif." Mettant de côté la question – à nouveau – de comment El Hamel sait quelles étaient les motivations ou les attachements d'Ismail, le changement de représentation de Moulay Ismaïl, de héros panafricain à un anti-héros raciste et négrophobe, est davantage le résultat des guerres culturelles américaines, un reflet du passage du panafricanisme des années 1960 à l'afro-pessimisme actuel, plutôt qu'à de nouvelles preuves émergeant des archives nationales marocaines. Il est à noter que cette vision du fondateur de la dynastie alaouite en tant que roi noir est toujours défendue par une partie de l'intelligentsia marocaine. Comme l'a déclaré M'barek Boutchichi, l'artiste noir le plus éminent du Maroc, lors d'une interview l'année dernière : "Le sultan Moulay Ismaïl était par exemple un roi noir. Yousef Ibn Tachfin était noir. Le Maroc est noir..." (Soulimani 2020).

Archives

L'une des forces de "Le Maroc noir" est que, contrairement à la plupart des écrits américains sur l'esclavage en Afrique du Nord qui s'appuient sur des sources secondaires, son auteur consulte effectivement deux registres officiels, les Daftar Mamalik as-Sultan Mawlay Isma‘il (Les Registres des Esclaves de Sultan Mawlay Isma‘il) conservé à la Bibliothèque royale de Rabat, au Maroc. Il se concentre sur un registre intitulé "‘Abid al-Manatiq ash-Shamaliya (Les Esclaves de la Région Nord) comme étude de cas représentant un recensement d'un nombre partiel d'esclaves, censément d'origine noire, du début du XVIIIe siècle.

L'ironie est que malgré l'insistance d'El Hamel à dire que Moulay Ismaïl était motivé par le racisme anti-noir (le chapitre est intitulé "Racialiser l'esclavage", impliquant qu'avant Ismaïl, l'esclavage au Maroc n'était pas racial), peu des individus esclaves dont il met en avant les profils sont décrits comme "noirs" - mais vont de "clairs" à "bruns". Une liste d'esclaves détenus à Ksar el Kbir inclut ainsi ces individus :

« Muhammad b. al-wasif Musa b. al-wasif ‘Isa b. al-wasif ‘Ali al-Hajjam (le barbier). Sa description : Brun clair ou cuivré (safari)... Sa femme est al-wasifa Maryam bint al-wasif ‘Isa al-Hajjam. Sa description : Brun clair... Al-‘abd ‘Ali. Sa description : Brun clair... Qui est marié dans l'esclavage à al-ama Fatima bint al-wasif Ahmad al-Jamal. Sa description : Brun clair et maigre. Al-Wasif Qasim b. al-wasif Umar b. al-mamluk Musa b. al-‘abd ‘Isa Harraq al-Hafidh. Sa description : Brun (ahmar al-lawn, littéralement peau rouge)... Al-Wasif Yusuf b. al-wasif Musa b. al-qinn ‘Umar b. al-mamluk al-Hasan al-Harraq al-Hafidh. Sa description : Brun foncé (kabdi, littéralement de la couleur du foie) »...

Que signifie pour l'argument d'El Hamel que seule une personne sur cette liste d'esclaves soit étiquetée "à la peau foncée" ? Comment ce document d'archives appuie-t-il l'affirmation de l'auteur selon laquelle Moulay Ismaïl associait la "noirceur à l'esclavage" ? Quel était le terme local pour "noir" au Maroc au XVIIIe siècle ? Peut-être mentionne-t-il ces esclaves à la peau plus claire pour souligner à nouveau qu'Ismail était motivé par une règle à l'américaine - où la moindre nuance de couleur faisait de quelqu'un un Noir entièrement asservissable ? Il n'explique pas, mais dit de manière plutôt énigmatique :

"La noirceur dans ce discours est devenue une catégorie ambivalente exclue de la communauté des musulmans et donc privée de liberté."

Ce n'est pas la seule fois où El Hamel tire des conclusions peu probables sur les étiquettes raciales à partir d'une source primaire. D'autres ont attiré l'attention sur la traduction problématique d'El Hamel du récit de l'historien al-Bakri (mort en 1094) sur la ville saharienne d'Awdaghust. Al Bakri, qui parle de la richesse de ce centre commercial, évoque les marchands d'Afrique du Nord et d'Afrique de l'Ouest : "Ils possédaient de grandes richesses et des esclaves si nombreux qu'une personne parmi eux pouvait posséder mille serviteurs ou plus ?"

Al Bakri mentionne ainsi des "femmes soudanaises" qui étaient de bonnes cuisinières et de "belles femmes blanches exceptionnellement sexuelles". Mais El Hamel insère le mot "noires" entre crochets, transformant la phrase en "femmes soudanaises [noires]". Comme l'a observé l'historienne canadienne Ann McDougall, El Hamel tente de plaider en faveur de "rôles racialement désignés", mais le texte original ne le transmet pas tout à fait (McDougall 2018). Au mieux, sa reprise par El Hamel est ambiguë. Cependant, en s'appuyant ainsi dessus avec confiance et en l'associant à son interprétation des "rôles professionnels" d'al-Bakri, El Hamel s'assure que notre première compréhension de l'esclavage saharien soit définie en termes raciaux[9]. McDougall offre une correction :

"La race était une variable dans le Sahara, mais elle ne définissait pas l'esclavage. Les esclaves étaient des biens, mais ils n'étaient pas que des biens. Les esclaves étaient des travailleurs, mais ils étaient aussi des consommateurs. Certains esclaves n'étaient pas des esclaves - ce étaient des "esclaves affranchis", des haratine qui pouvaient posséder des esclaves et transmettre des biens." (Ibid.)

Un autre exemple d'El Hamel falsifiant des citations et des traductions concerne la prétendue conquête de Tombouctou par Mansour al-Dahabbi. Le récit officiel marocain de l'expansion du royaume en Afrique de l'Ouest raconte qu'al-Dahabbi a dirigé une expédition à travers le Sahara, a conquis Tombouctou et a ramené une armée de milliers de personnes de l'Empire Songhaï défait. Les deux principaux critiques de ce récit officiel sont les historiens Lansiné Kaba et Allen Meyers. En 1977, Kaba a publié une étude remettant en question l'ampleur et l'importance de cette "capture", affirmant que la campagne d'al-Dahabbi a déclenché au contraire la chute de la dynastie saadienne. Meyers, dans une série d'articles, a soutenu que Moulay Ismaïl, confronté à la concurrence européenne et ottomane, avait commencé à recruter l'Abid Al-Bukhari, "une grande armée de mercenaires loyaux à lui-même et à l'État". Se demandant "si les soldats [de l'armée de Moulay Ismaïl] étaient des Marocains autochtones ou s'ils venaient ou étaient amenés au Maroc depuis le Soudan occidental", Meyers conclut que l'armée de Moulay Ismaïl s'appuyait sur les haratin locaux, plutôt que sur les migrants songhaï. L'Abid al Bukhari était composé d'environ 150 000 soldats, et sa composition raciale était distinctive en ce sens qu'elle était composée « entièrement d'esclaves noirs et d'un peuple au statut social et racial ambigu appelé Haratin. »

Meyers fut probablement le premier à souligner la différence entre les récits marocain et européen sur la création de l'armée de Moulay Ismaïl. Les textes européens prétendaient que les soldats venaient d'Afrique de l'Ouest et que l’appartenance raciale avait conduit les "abid" à développer une conscience collectiv et un esprit de corps. Pendant plus de trois siècles, les sources étrangères (non marocaines) ont soutenu que les "Abid" étaient des captifs ou des réfugiés soudanais, probablement Bambara de Tombouctou (Morsey 1967 ; Kaba 1969). À la fin du XVIIIème siècle, des observateurs européens ont mentionné que certains membres de l'armée étaient des "Bambareens" des "Côtes de Guinée". Des comptes-rendus plus détaillés ont commencé à apparaître à la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècle. Louis de Chernier affirmait que les "Abid" étaient des soldats Bambara du voisinage de Tombouctou qui étaient revenus avec Moulay al-Rashid (le demi-frère et prédécesseur d'Ismail, et le premier sultan alaouite) au Maroc après sa campagne pour conquérir Tombouctou, qui avait été stoppée par les forces du roi local (Meyers 1977, 10). Meyers conteste ces récits en affirmant qu'il n'y a pas de preuve que des soldats Bambara ont suivi Moulay Rashid au Maroc, ni d'une autre figure, "u-Ali", conduisant une force soudanaise un an plus tard au Maroc. De même, Meyers soutient que la description du voyage au Soudan par George Mouette dans son texte influent "L'histoire des conquêtes de Moulay Rachid et Moulay Ismaël" (1683) est fausse, notant qu'aucune source marocaine ou soudanaise, ni les traditions orales Bambara, ne parlent d'une grande expédition marocaine à Tombouctou en 1670, ni ne mentionnent une grande migration de soldats ou d'esclaves au Maroc[10]. La majorité des Abid al-Bukhari étaient probablement des Haratin, les habitants autochtones de l'Afrique du Nord et du Sahara occidental, décrits comme des Numides dans les textes grecs et latins, et dont l'histoire est peu connue. Meyers insiste sur le fait qu'il existe peu de preuves soutenant l'affirmation européenne selon laquelle les "abid" étaient étrangers.

Les sources marocaines donnent un récit différent : Moulay Ismaïl était à Marrakech en 1670, il a repéré un registre des esclaves qui avaient servi dans l'armée d'al-Mansour, et s'est demandé si ces esclaves étaient toujours en vie. Certains des premiers soldats noirs recrutés, dit Meyers, pouvaient être d'origine soudanaise, bien que "rien dans le texte ne le prouve" (Meyers 1977). Ismail a recruté un groupe central d'environ 14 000 soldats auxquels il a fourni des armes, de l'équipement et des femmes. Les agents d'Ismail auraient rassemblé tout le monde jusqu'à ce qu'il n'y ait plus de Noirs au Maroc (qui n'étaient pas dans l'armée), ni esclave ni libre. Ismaïl a ensuite ordonné un deuxième groupe de recrues près de Meknès. En 1678, le dernier contingent significatif a rejoint l'armée d'esclaves - 2000 haratin, qui sont revenus avec les troupes d'Ismail envoyées pour pacifier le Sahara. Meyers note que les sources marocaines ne précisent pas si ces soldats haratin ont été capturés ou se sont joints volontairement, ou s'ils ont été offerts en tribut par les peuples sahariens. De petits groupes d'esclaves noirs et de Haratin ont continué à se joindre. Meyers note que bien que leurs origines soient obscures, "les preuves suggèrent que la plupart des recrues originales étaient des esclaves marocains et des Haratin, plutôt que des Soudanais." Si l'armée d'esclaves a continué de croître après 1680, les sources marocaines ne mentionnent pas de nouvelles recrues à grande échelle. Meyers trouve certains aspects de la version marocaine artificiels, mais il est plus en accord avec le récit marocain qu'avec le récit européen :

"Nous n'avons pratiquement aucune preuve qu'une proportion significative des Abd al Bukhari venait du Soudan." Et le fait que les "abid" étaient "d'origine marocaine et non étrangère en fait une exception, voire une exception unique, parmi les armées d'esclaves de l'histoire islamique." (Meyers 1977)

J'ai décrit l'interprétation de Meyers en détail car, bien qu'El Hamel adhère au récit européen des Abid al Bukhari, il réagence la thèse de Meyers pour appuyer sa propre démonstration. Meyers écrit : "Quelle que soit leur origine, le statut des 'Abids [soldats esclaves] au Maroc - en ce qui concerne à la fois le makhzen et les groupes urbains et tribaux - était sensiblement le même : ils étaient sans terre, vulnérables et méprisés, et par conséquent ils n'avaient ni d'engagements sentimentaux ni matériels envers des groupes sociaux ayant d’autres intérêts que ceux du makhzen." (p. 114, 1974) El Hamel reformule cette citation de manière différente, faisant de la description de Meyers non pas des soldats esclaves, mais des Noirs (quelle que soit leur définition) au Maroc. El Hamel écrit : "[Allen Meyers] souligne que la plupart des Noirs au Maroc "étaient sans terre, vulnérables et méprisés... indépendamment du makhze[autorité centrale]." (p. 159)
El Hamel ajoute le qualificatif "Noirs", élargissant ainsi la description à toutes les personnes noires au Maroc, peut-être afin de pouvoir affirmer que le ressentiment envers les soldats esclaves du régime était le produit d'un racisme intemporel, plutôt que de leur rôle en tant qu'exécuteurs de l'État, ce qui est pourtant ce qu’indique Meyers : "Les Abid al-Bukhari étaient méprisés en raison de leur statut, et haïs et craints en raison des fonctions qu'ils exerçaient" (Meyers 1977, 440). Le ressentiment populaire contre les Abid al-Bukhari était généralisé, avec des actes de violence contre les collecteurs d'impôts noirs du régime. Le régime bénéficiait de l'animosité entre les soldats esclaves et le reste de la population. El Hamel réduit l'animosité au racisme :

"Les Arabes et les Berbères au Maroc percevaient la mobilité ascendante élevée des 'Abid al-Bukhari comme une transgression contre l'ordre social et, par moments, leur rappelaient leurs origines, l'esclavage et la couleur noire." (p.299)

El Hamel rapporte également que les soldats esclaves noirs "recevaient des paiements réguliers. En effet, les soldats noirs considéraient leur statut comme libre et se comportaient généralement en conséquence." Notons que ce passage aurait pu être le lieu d’une explicitation des différences entre l'armée d'esclaves d'Ismail et l'institution de l'esclavage dans le Nouveau Monde.

« Ces gens fascinants »

El Hamel déplore le manque de récits d'esclaves écrits au Maroc - et dans le "monde islamique" plus largement - affirmant plutôt douteusement que cela est dû à l'absence d'un mouvement abolitionniste local. Compte tenu de l'absence de tels manuscrits, El Hamel soutient que la musique gnawa est la seule trace que nous ayons aujourd'hui de la voix de l'esclave marocain, l'équivalent musical d'un récit d'esclave. Compte tenu de la "culture du silence", il affirme : "Le témoignage le plus révélateur de l'esclavage et de son héritage au Maroc est la simple existence des Gnawa : un ordre spirituel de personnes traditionnellement noires musulmanes, descendants d'Africains de l'Ouest subsaharien asservis." El Hamel ne définit pas clairement le terme "Gnawa", utilisant indifféremment "les Gnawa", "les Noirs" et "les Haratin", et décrivant maladroitement les Gnawa comme "traditionnellement noirs et musulmans", alors que le groupe a historiquement été critiqué pour ses pratiques hétérodoxes.

En invoquant la thèse de la diffusion culturelle, El Hamel soutient que les Gnawa sont un "groupe social distinct" qui a "conservé de nombreux rituels et croyances de leurs ancêtres, exprimés à travers leurs traditions musicales uniques". Il affirme que ce « peuple fascinant » a un lien avec son héritage mandingue, soulignant que "Gnawa" et "Griot" ont une racine étymologique commune[11]. El Hamel voit naturellement la musique Gnawa à travers le prisme transatlantique, comme "analogue" aux blues et spirituals noirs chantés par les Afro-Américains. À cette fin, il décrit les praticiens de la musique Gnawa comme une "diaspora", un groupe ethnique, "une minorité racialisée", même si, selon ses propres dires, les membres de l'ordre Gnawa ne se définissent pas ainsi. Il se réfère à cet ordre soufi contemporain comme un "groupe ethnique distinct", avec une "solidarité ethnique" à une époque où pourtant peu de ses principaux praticiens sont noirs et où le rituel évolue rapidement et se commercialise. El Hamel définit la "diaspora" comme une identité partagée qui transcende les frontières géographiques et exprime le désir de retourner dans sa terre d'origine. Une autre phrase embrouillée suit :

"Les Gnawa ne semblent pas avoir le désir de retourner dans leur terre ancestrale ; leur diaspora est construite de manière positive autour du droit d'appartenir à la culture de l'islam, et c'est l'islam et non leur conscience de leurs racines ancestrales et de leur migration forcée qui leur a permis de s'intégrer dans leur nouvelle patrie."

Après avoir ainsi noté leur intégration, El Hamel souligne pourtant à nouveau l'aliénation et la délocalisation des Gnawa. Citant le théologien défunt James Cone, il affirme que la musique gnawa est très similaire aux spirituals noirs qui ont permis aux esclaves en Amérique de "conserver une part de leur identité africaine" dans une terre étrangère. Le récit d'El Hamel sur la musique gnawa est un écho à l'histoire des spirituals noirs et du blues dans le Sud d'avant-guerre, avec des communautés marronnes et des "loges". Sous le règne de Moulay Ismaïl, dit-il, il y a eu une "grande dispersion des Noirs à travers le Maroc", car ils se sont "éparpillés" dans le royaume, "ils ont fondé des centres communautaires où leur culture est célébrée." El Hamel n'offre aucune description ni preuve de l'existence de ces centres communautaires. (le premier centre culturel Gnawa établi au Maroc est Dar Gnawa de Tanger, fondé en 1980[12]) Les Gnawa, comme d'autres diasporas africaines, essaient de "réconcilier leur passé fragmenté" et une fois "reliés à leurs origines, ils ont un sentiment d'emplacement". Il affirme que les Gnawa sont exclus mais ont acquis une acceptation, ostensiblement grâce à leur musique : "Au fil des générations... les Gnawa ont créé l'acceptation au sein du paysage social marocain tout en maintenant leur solidarité ethnique et de groupe." Ainsi, après avoir construit le cas de l'exclusion et de la ségrégation des Noirs marocains, El Hamel affirme qu'ils sont intégrés et ont trouvé "légitimité" et "acceptation". Il affirme également, sans preuve ni explication, que les cérémonies gnawa se déroulent régulièrement parce que "l'esclavage lui-même était la blessure initiale et parce qu'il n'a jamais été officiellement reconnu ni guéri, il était donc destiné à se répéter." Je ne sais pas d'où l'auteur tire cette absurdité fonctionnaliste, mais cela pose la question : si les autorités marocaines reconnaissaient l'esclavage, cela mettrait-il fin à la nécessité de la cérémonie de guérison lila ?

Il ne fait aucun doute que la musique Gnawa a préservé la mémoire de l'esclavage au Maroc, avec des paroles évoquant la souffrance et la privation, mais El Hamel ne montre pas comment les Gnawa forment une ethnie ou même un groupe social distinct (par opposition à une organisation soufie, une culture musicale ou une lignée). Il souligne l'exclusion et la ségrégation des Gnawa, puis accentue leur assimilation et leur "longue intégration" dans la société marocaine. Les Haratin ont été décrits comme un groupe "ethnique", mais en quoi les Gnawa sont-ils une ethnie ? S'ils sont exclus en raison de leur couleur de peau, pourquoi ne pas les appeler une race ? Cette confusion conceptuelle provient en partie du fait qu'El Hamel ne définit jamais les concepts de race ou d'ethnie. L'histoire de la musique Gnawa qu'il décrit ressemble davantage à ce qui s'est passé aux États-Unis après la Reconstruction, un processus de récupération historique et de formation identitaire qui a permis aux descendants d'esclaves de se mobiliser pour leurs droits en tant qu'Afro-Américains dans une démocratie partielle. Aucune mobilisation similaire des descendants d'esclaves n'a eu lieu au Maroc.

El Hamel n'aborde pas non plus les rituels ou les pratiques musicales Gnawa qui peuvent provenir du Sahel. Il s'agit d'un débat complexe et spécialisé, El Hamel doit ainsi s'engager davantage avec le travail des ethnomusicologues comme Philip Schuyler, Tim Fuson et Chris Witulski, qui ont étudié les éléments du répertoire Gnawa, qu’ils soient musicaux (par exemple, les gammes pentatoniques) ou linguistiques, pouvant provenir du Sahel (Witulski 2018, 154). Dans Gnawa Lions, l'ethnomusicologue Chris Witulski écrit (en réponse à El Hamel) que la pratique Gnawa est davantage axée sur la piété et la recherche d'un moyen de subsistance que sur la nostalgie d'une patrie perdue. Pourtant, El Hamel se range solidement dans le camp de la "diffusion culturelle", affirmant que la musique Gnawa est non seulement venue d'Afrique de l'Ouest, mais faisant écho à l'argument célèbre de l'anthropologue Vincent Crapanzano, que les Gnawa ont ensuite influencé d'autres "ordres mystiques" berbères et arabes au Maroc, en introduisant des pratiques sahéliennes comme la transe, les "contacts avec les esprits" et les jnun nommés dans les confréries comme les Issawa et les Hamadcha. Pour étayer cet argument, El Hamel cite l'ethnographie volumineuse de l'anthropologue finlandais Edward Westermarck, Ritual and Belief in Morocco (1926), qui affirme que "cette influence [sur les autres ordres mystiques] est très visible [dans] les rites des Gnawa, et probablement qu'elle s'est avérée avoir eu une portée considérablement plus grande que ce que l'on sait actuellement" (Crochets carrés dans El Hamel). Mais Westermarck ne dit pas tout à fait cela : en examinant de multiples influences au Maroc, Westermarck note des éléments culturels arabes, chrétiens et "culturels de l'ancienne Méditerranée", mais souligne également une vieille influence culturelle "négro" - affirmant que les Gnawa eux-mêmes ont été influencés par des courants noirs du sud du Maroc. Voici la citation originale :

"Il y a aussi eu une influence noire, qui chez les Berbères du Sud a sans doute commencé à une époque très ancienne, lorsque la frontière sud de leur territoire était plus au nord qu'elle ne l'est maintenant, et qui a été maintenue à des époques plus récentes grâce à l'influence des esclaves noirs. Cette influence est très visible dans les rites des Gnawa, et il est probable qu'elle se soit avérée avoir eu une portée considérablement plus grande que ce que l'on sait actuellement" (Westermarck 1926, 12-13).

En ajoutant "de" et "sur d'autres ordres mystiques" entre crochets carrés à la dernière phrase, El Hamel modifie le sens de la déclaration originale de Westermarck - qui pointait vers les flux culturels du sud du Maroc vers la culture Gnawa - pour faire dire à Westermarck que l'influence venait de la culture Gnawa vers d'autres "ordres mystiques". Westermarck dit qu'il ne fait "aucun doute que diverses pratiques liées à la croyance en jnun ont une origine soudanaise", mais il ne parle jamais de l'influence des Gnawa sur d'autres "ordres mystiques". Au contraire, il souligne que la croyance en jnun existait déjà au Maroc, de sorte que "les esclaves noirs qui sont venus au Maroc ont trouvé la croyance maure en jnun particulièrement conforme à leurs propres superstitions natives." Il fait l’hypothèse que la coutume du dyafa (le sacrifice) vient probablement du Soudan car elle n'a pas de parallèle chez les Arabes de l'Est, mais "d'un autre côté, une coutume très similaire à la dyafa-saafie maure est rapportée de Tombouctou." Westermarck ne dit pas non plus que la transe ou les jnun nommés viennent d'Afrique de l'Ouest, notant à plusieurs reprises que des esprits portant des noms existent tant au Maghreb qu’en Orient arabe et que l'équivalent arabe d'Aisha Quandisha est un jinn du désert nommé Sa-lewwah Gule. Dans l'ensemble, Westermarck était beaucoup plus circonspect que les chercheurs ultérieurs sur les Gnawa : "En raison de notre connaissance très limitée des anciens Berbères, il est souvent impossible de dire ce qui est d'origine arabe et ce qui est berbère, et il peut être futile de faire une conjecture sur ce point." (p.12, 1926)

L'affirmation selon laquelle l'ordre Gnawa a influencé d'autres groupes soufis semble avoir une origine européenne inspirée par l'affirmation coloniale selon laquelle les Abid al-Bukhari venaient du Sahel. Comme Meyers l'a noté il y a des décennies, la question de savoir si les Abid venaient d'Afrique de l'Ouest ou du sud du Maroc a des implications pour "la question des soi-disant survivances soudanaises noires dans l'islam populaire marocain" (p.457, 1977), car "on prétend largement que de nombreux aspects animistes de la religion marocaine sont le résultat d'une diffusion culturelle en provenance du Soudan, que ces caractéristiques hétérodoxes ont été introduites au Maroc par des migrants soudanais, des esclaves présumés, à partir desquels elles se sont diffusées à la population plus large." Il souligne à quel point les chercheurs "diffusionnistes" (des ethnographes coloniaux à Vincent Crapanzano) étaient vagues sur la manière dont "un ensemble de traits soudanais" s'est établi dans la pratique religieuse marocaine, "à juste titre ; les preuves de l'origine soudanaise étaient virtuellement nulles. À Alger, Tripoli et Tunis - en revanche - le comportement religieux a non seulement été montré comme ayant une origine soudanaise, mais il a également été montré comme ayant été associé à des esclaves et à des migrants affranchis de certaines parties du Soudan... Il n'existe aucune preuve de cela au Maroc" (Meyers 1977, 437).

El Hamel cite néanmoins favorablement René Brunel, le commissaire colonial français d'Oujda, qui a écrit sur les tariqas soufis marocains et affirmé que les maîtres guérisseurs Issawa avaient adopté les rituels Gnawa, en particulier l'utilisation du sang (Brunel 1926)[13]. Brunel affirmait également qu'au cours des années 1900, les Abid Al-Bukhari avaient tendance à s'affilier en masse au même ordre. Meyers nous rappelle que les Abid al-Bukhari ont été reconstitués par les Français après la création du Protectorat français en 1912, mais simplement parce que des troupes noires se regroupaient dans une zawiya particulière dans les années 1900, "il faut prendre de grandes précautions avant de projeter ces données dans le passé. Il n'y a aucune preuve que les 'Abid étaient affiliés à un ordre religieux particulier avant cette époque" (Mayers 1977 ; Arnaud 1941). De plus, aucune preuve n'existe pour montrer que les Abid ont introduit ces confréries et ces rites au Maroc, "ni, d'ailleurs, que l'immigration soudanaise à grande échelle au Maroc à l'époque historique se soit avérée avoir eu lieu" (Meyers 1977, 438). L'intérêt marqué du colonialisme français pour la pratique Gnawa doit être exploré plus en profondeur. El Hamel ne discute pas de l'État colonial ou du soutien du régime marocain aux Gnawa après l'indépendance, mais il note, de manière plutôt capricieuse, que leur "simple existence" est une merveille.

Effets coloniaux

Au Maroc, la critique du livre d'El Hamel s'est naturellement concentrée sur deux points : son imposition d'une "règle de la goutte de sang" à l'américaine sur le contexte marocain et son traitement plutôt célébratoire de l'ère coloniale (al-Harrak 2018). Dans Le Maroc noir, le colonialisme français est l'agent de la modernisation capitaliste et de l'abolitionnisme. L'esclavage a d'abord été aboli en France en février 1794, puis peu de temps après dans les colonies françaises - mais Napoléon a rétabli l'esclavage en 1802, et il n'a été définitivement aboli qu'en avril 1848, dans toutes ses colonies, y compris l'Algérie. El Hamel affirme que l'abolitionnisme européen découle des Lumières européennes, "qui ont apporté de nombreuses réformes humanistes, en partie en raison de la croissance du capitalisme industriel qui a introduit de nouvelles relations de travail basées sur les salaires plutôt que sur la servitude".

À une époque où les chercheurs écrivent sur la manière dont les Lumières ont exporté les notions kantiennes de race et de hiérarchie raciale dans le monde entier, il est déconcertant de voir un auteur défendre le colonialisme européen pour son capitalisme inspiré par les Lumières[14]. Comme l'a écrit l'historienne Fatima L'Madani, El Hamel attribue la responsabilité de l'esclavage racial à Moulay Ismaïl et la marginalisation des minorités dans le Maroc contemporain au parti de l’Istiqlal, mais il néglige la manière dont la domination coloniale a façonné les opinions marocaines sur les "Africains". El Hamel dépeint la domination coloniale comme ayant atténué le racisme au Maroc, limitant l'esclavage au sein des foyers, et, comme le souligne L'Madani, il confond le traitement des Marocains noirs avec celui des Subsahariens, car il ne définit jamais ce que signifie "noir" au Maroc (L'Madani 2021).

Cette vision plutôt optimiste des Lumières françaises et du capitalisme naissant néglige les politiques ethno-raciales introduites par le colonialisme français. Pour un livre qui cite à plusieurs reprises favorablement l'administration coloniale française, il est regrettable qu'il n'aborde pas la manière dont la domination coloniale française a défini les Arabes, les Berbères et les Noirs, créant des généalogies et des systèmes juridiques différents pour chaque ethnie, et une distinction entre "l'islam noir" et "l'islam maure" qui a sous-tendu la pensée coloniale française jusqu'au XXe siècle. Dans un livre qui se préoccupe de l'origine des haratines et des Marocains noirs, l'auteur néglige une importante littérature ethnographique et juridique sur la manière dont les colons ont construit d'abord les Marocains noirs comme "autochtones" puis comme une "diaspora" originaire d'Afrique de l'Ouest (Gernier 1924). Comme l'a montré Silverstein, la logique militaire et scientifique coloniale a divisé les Berbères "autochtones" et les Haratins "allochtones" le long de lignes racialisées en groupes "blancs" et "noirs" - ou "castes" - et cette division continue de façonner les relations intercommunautaires dans le sud-est du Maroc aujourd'hui[15]. Une autre absence flagrante dans un livre qui accorde une si grande importance à la création de la Garde Noire est la discussion sur la manière dont les Abid Al Bukhari ont été reconstruits en 1912 par les Français. La Garde noire, en tant qu'unité cérémonielle, est devenue centrale dans l'imagerie du Maroc colonial (une telle peinture coloniale orne la couverture de Le Maroc noir). Pourquoi les Français ont-ils reconstruit cette armée de la Garde Noire, et ont-ils poussé les troupes noires vers des ordres soufis particuliers ? Pourquoi les colons français, au nom de l'abolitionnisme, ont-ils attribué une origine étrangère aux Marocains noirs ?

Esclavage et "'esprit arabe"

Une grande partie de la critique de Le Maroc noir vient de l'extérieur des États-Unis, ce qui indique à quel point ce champ d'étude (la race et l'esclavage au Moyen-Orient et en Afrique du Nord) est politisé en Amérique. Peu de chercheurs veulent critiquer publiquement un chercheur issu d'une minorité qui prétend briser le silence sur "l'esclavage islamique", mais il est peu probable que Cambridge University Press publierait un texte aussi négligent s'il s'agissait de l'histoire de la race en Amérique. Malheureusement, Le Maroc noir a incité à écrire sur l'esclavage et la race en Afrique du Nord de manière similaire, en commençant par se lamenter sur "le silence", puis en procédant à l'écriture de "la race" dans le Maroc du XVIIe siècle, en traitant la création d'une armée d'esclaves par Moulay Ismaïl comme un moment racial fondateur (Becker 2020). Le livre d'El Hamel illustre clairement comment la politique actuelle imprègne la recherche sur l'esclavage transsaharien et transocéanique.

Le livre combine le réductionnisme racial associé à la pensée afro-pessimiste avec le "discours sur la culture" de la guerre contre le terrorisme et une hostilité envers "l'islam arabe". L'auteur, un historien marocain, éduqué en France, travaillant maintenant à l'Université d'État de l'Arizona, semble faire plaisir à un camp français laïcard, ainsi qu'à une politique identitaire américaine qui voit le racisme comme un phénomène culturel transhistorique, l'emportant sur les facteurs économiques et politiques[16].

Comme mentionné précédemment, El Hamel est profondément influencé par le livre d'Ennaji, Serving the Master, qui voit également l'histoire de l'esclavage au Maroc comme enracinée dans la montée de l'islam et de l’arabisme du VIIe siècle. Plus récemment, Ennaji a affirmé que l'esclavage est au cœur de la gouvernance islamique, et qu'il est essentiel pour comprendre le despotisme arabe contemporain (Ennaji 2007, 2019). L'intérêt d'Ennaji pour briser le prétendu silence sur l'esclavage fait donc partie d'un projet plus vaste de laïcisme. Un certain nombre d'écrivains maghrébins laïcs francophones semblent avoir focalisé leur attention sur l'esclavage comme un concept fourre-tout pour dénoncer le caractère étouffant de la religion au Maghreb[17] et appellent à mettre fin au "silence" entourant la mentalité multiséculaire de servitude (Chebel 2010 ; Daoud 2016, 2020 ; Benjelloun 2021).

El Hamel adopte également ce qu'il appelle maintenant "une épistémologie du silence", en utilisant un silence public présumé comme prémisse, énigme et dispositif de cadrage pour une analyse de l'esclavage. Cette stratégie fait beaucoup de travail : elle lui permet d'étendre l'argument culturaliste selon lequel la religion est non seulement à l'origine du racisme, mais aussi responsable du silence qui l'entoure. En déclarant que les archives sont silencieuses, cela lui donne également la permission de spéculer de manière débridée sur l'identité de Moulay Ismaïl, les rituels Gnawa, etc. En fin de compte, malgré tout le discours sur la mise au premier plan des "subalternes", l'affirmation d'un passé et d'un présent silencieux permet à l'auteur de réduire au silence les chercheurs et militants marocains locaux (qui viennent en aide aux migrants africains, organisent des cliniques juridiques pour aider les victimes de racisme, etc.), et de se "mettre en avant" lui-même, en tant que grand protagoniste abattant une vache sacrée. C'est ce que les militants appellent "Columbiser", l'art de "découvrir" ce qui n'est pas nouveau.) Un des arguments les plus désagréables présentés dans Le Maroc noir est que les chercheurs arabes et musulmans, "aveuglés" par "les préjugés", ont évité d'écrire sur les Gnawa et la possession d'esprits parce que cela est considéré comme "une forme inférieure de soufisme - un culte influencé par des traditions païennes noires et embrassé principalement par les gens des classes inférieures." C'est une idée fausse. La musique Gnawa est probablement la musique la plus décrite du Maroc contemporain, en raison de sa mondialisation et de son ascension dans la hiérarchie culturelle marocaine au cours des dernières décennies. El Hamel cite quelques études, qu'il rejette comme faisant partie de la thèse "bénin" sur l'esclavage, mais il ne discute pas les écrits du sociologue Abdelhai Diouri, qui étudie et défend les pratiques Gnawa depuis quarante ans, ni avec les chercheurs plus jeunes comme Meriem Alaoui Btarny (Btarny 2012), et le musicien-journaliste Reda Zine, qui travaille sur les Gnawa et l'afro-futurisme (Zine 2009).

El Hamel maintient que la raison pour laquelle les gens ne discutent pas de "l'esclavage, des attitudes raciales et des questions de genre" dans la société marocaine, et pourquoi les écoles n'enseignent pas le sujet, c'est parce que "l'esclavage va à l'encontre de la loi islamique" (Moussouab 2020). Il n'offre aucun soutien à cet argument tautologique (l'islam propage le racisme, l'islam interdit de discuter du racisme). Comme mentionné précédemment, le livre contient de multiples arguments et leurs opposés exacts. Il existe d'autres sujets "tabous" stigmatisés au Maroc, les soi-disant muharamat - l'athéisme, l'homosexualité, les prédations économiques du régime - et pourtant, ces sujets sont abordés dans les magazines et les médias sociaux, et les journalistes sont souvent emprisonnés pour cela. Où sont les preuves que les militants qui parlent du racisme ou de l'esclavage sont réduits au silence ? Les livres sur l'esclavage et les Gnawa (y compris la traduction française de Le Maroc noir) sont vendus ouvertement dans les librairies marocaines. Ce serait même plutôt l’inverse car, depuis le retour du Maroc à l'Union africaine en 2016, le récit d'El Hamel a été adopté par le régime, lequel met en avant les liens séculaires de la dynastie alaouite avec l'Afrique de l'Ouest, et aussi parce que ce discours à prétention savante ne traite pas de qui impose le silence au Maroc, ni du rôle du régime dans l'expulsion des migrants africains et la reproduction de l'inégalité ethno-raciale dans le pays - préférant parler des mentalités anciennes.

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[1] Une version antérieure de cet article a été présentée lors d’un atelier sur les esclavages transafricains organisé à l'Institut de recherche sociale de Makerere à Kampala, en Ouganda, les 25 et 26 juillet 2015. Je tiens à remercier Mamadou Diouf, Ann McDougall et Brinkley Messick pour leurs commentaires.

[2] Conscient des multiples définitions entourant "mumbo jumbo", Ishmael Reed, dans le premier chapitre de son roman, cite la première édition de l'American Heritage Dictionary, où l'expression vient du mandingue "mā-mā-gyo-mbō", signifiant un "magicien qui fait partir les esprits troublés des ancêtres". "The American Heritage Dictionary of the English Language. New York: American Heritage Publishing. 1969. p. 862 "mā-mā, grand-mère + gyo, trouble + mbō, partir." The American Heritage Dictionary of the English Language (New York: American Heritage Publishing 1969) p. 862. Voir aussi Keren Omry, Cross-Rhythms: Jazz Aesthetics in African-American Literature (Bloomsbury Academic 2011).

[3] Voir David M. Goldenberg, The Curse of Ham: Race and Slavery in Early Judaism, Christianity, and Islam (Princeton University Press, 2003). Goldenberg soutient que l'histoire de la Genèse, où Noé maudit son petit-fils Canaan (le fils de Cham), ne faisait aucune référence à la couleur de peau des Africains, mais a fini par servir de justification pour l’oppression des Noirs. L'auteur affirme que, à mesure que les traditions exégétiques bibliques circulaient à travers le Proche-Orient, des interprétations erronées du texte hébreu ont émergé, attribuant la signification "noir" ou "sombre" au terme Cham.

[4] Hunwick se demande : "Qu'est-il advenu des millions d'Africains qui ont été pris comme esclaves dans les domaines méditerranéens de l'islam au fil des siècles ?" cité dans Joseph E. Harris, Global dimensions of the African diaspora (Washington, D.C. : Howard University Press, 1993) p. 309.

[5] Philip Curtin, The Trans-Atlantic Slave Trade: A Census (Madison: University of Wisconsin Press, 1969) ; Ralph A. Austen, "The Trans-Saharan Slave Trade: A Tentative Census," in Henry A. Gemery and Jan S. Hogendorn, éds., The Uncommon Market: Essays in the Economic History of the Atlantic Slave Trade (New York, San Francisco, London: Academic Press, 1979). Ralph A. Austen estime que 17 000 000 d'esclaves africains ont traversé le Sahara et les océans orientaux. Austen, African Economic History: Internal Development and External Dependency (Portsmouth, N.H., 1987). Voir également Austen, Ralph. "The Mediterranean Islamic Slave Trade Out of Africa: A Tentative Census." Slavery and Abolition 13, no. 1 (1992) : 214-248.

[6] Cité dans Ronald Segal, Islam's Black Slaves: The Other Black Diaspora (New York: Farrar Straus Giroux, 2001) p. 61. Paul Lovejoy estime à son tour un total de 11 612 000 esclaves ayant traversé la mer Rouge, l'océan Indien et le désert du Sahara entre 650 et 1900. Paul Lovejoy, Transformations in Slavery: A History of Slavery in Africa (Cambridge, 1983).

[7] Pour un retour substantiel sur ce débat, voir Silverstein (2020) ; Brémond (1950).

[8] Voir la discussion par Sherman Jackson du Black Orientalism et des "faux universels" dans Islam and the Blackamerican: Looking Toward the Third Resurrection (New York : Oxford University Press, 2005).

[9] Ann McDougall affirme que le texte original fait une distinction entre les esclaves féminines et les khadem, montrant que les femmes à la peau noire et blanche étaient appréciées et potentiellement sélectionnées pour des services sexuels : "ces femmes étaient presque certainement d'origine mixte. Dans le contexte d'Awdaghust, cela implique des relations entre des hommes d'origine nord-africaine/saharienne et des femmes soudanaises.

[10] Les premiers Abid venaient de Marrakech, du Hawz et du Dir, "mais leurs origines étaient finalement inconnues" (Meyers 1977, 180). Il y a des preuves circonstancielles de la participation d'Africains noirs dans les Abid a-Bukhari, mais de nombreuses années après la mort de Moulay Ismaïl.

[11] Ici, El Hamel reprend à son compte et sans distanciation sur la définition du dictionnaire de "mumbo jumbo" comme "la croyance de certains peuples mandingues du Soudan occidental selon laquelle un grand prêtre appelé le 'Mumbo Jumbo' avait le pouvoir de protéger son village des esprits maléfiques" (The Morris Dictionary of Word and Phrase Origins par William et Mary Morris, HarperCollins, New York, 1977, 1988).

[12] https://www.nytimes.com/2021/08/21/world/africa/morocco-dar-gnawa.html

[13] Crapanzano (1973, 87) cite également Brunel, mais comme l’indique Meyers, "Crapanzano tire une conclusion similaire, bien que moins catégorique".

[14] Voir Emmanuel Chukwudi Eze, éd. Race and the Enlightenment: A Reader (Malden, MA: Blackwell Publishing, 1997) ; Domenico Losurdo, Liberalism: A Counter-History (Verso Books, 2011) ; Caroline Elkins, Legacy of Violence: A History of the British Empire (New York: Knopf, 2022).

[15] Les chercheurs marocains continuent de diverger sur la question de savoir si les haratins devraient être catégorisés comme une caste, une ethnie ou une race. Hammoudi (1974) utilisait le terme "caste" dans son étude de cette communauté, tandis que Hsain Ilahiane (2004) parle d’ethnicité en lieu de race.

[16] Les partisans de la critique afropessimiste, ainsi que d'autres penseurs réduisant la question à la race, avancent l'idée d'une adhésion à la volonté de suprématie blanche transhistorique en tant que pierre angulaire et force motrice de l'histoire, y compris de la préhistoire, des États-Unis, ainsi que de la subjugation impérialiste et coloniale dans d'autres régions du monde (Reed 2020).

[17] Daoud écrit ainsi : “Le racisme qui, au nord, a tué George Floyd, laisse, au sud, mourir le Noir s’il n’est pas musulman.”
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