NagUib Azury
Le Réveil de la nation arabe dans l'Asie turque (1905)
Dia al-Azzzawi, 1978
Naguib Azury (1873-1916) est un écrivain libanais de confession chrétienne. Partisan du nationalisme arabe, Azury s'est tôt opposé au mouvement sioniste, prenant appui sur ses années d'études à Paris dont il revient influencé par la pensée résolument hostile aux Juifs de Maurice Barrès et de Charles Maurras. Son projet nationaliste se confronte cependant tant au sionisme qu'au réformisme islamique, face auquel Azury postule dès lors la séparation du pouvoir temporel et du pouvoir religieux. Fervent opposant aux autorités ottomanes, qui le condamnent à mort, son principal ouvrage - dont nous reproduisons l'une des dernières parties - a été écrit en français, en grande partie à destination d'un lectorat européen. Il s'agissait ainsi de convaincre de la hauteur et de la justesse des aspirations nationales arabes, geste qui trouve sa justification pour l'auteur dans le désintérêt européen à l'égard des formes de conscience historique à l'oeuvre parmi les peuples de la région.
Rien n'est plus libéral que le programme de la ligue : la Patrie arabe. Elle veut, avant tout, séparer, dans l'intérêt de l'Islam et de la nation arabe, le pouvoir civil d'avec le pouvoir religieux ; former un empire arabe s'étendant depuis le Tigre et l'Euphrate jusqu'à l'Isthme de Suez et depuis la Méditerranée jusqu'à la Mer d'Oman. La forme du gouvernement sera un Sultanat constitutionnel basé sur la liberté de tous les cultes et l'égalité de tous les citoyens devant la loi. Elle respectera les intérêts de l'Europe, toutes les concessions et tous les privilèges qui lui ont été accordés par les Turcs jusqu'à ce jour. Elle respectera également l'autonomie du Liban et l'indépendance de toutes les principautés du Yémen, du Nedjed et de l'Irak.

Elle offre le trône de l'empire arabe au prince de la famille khédiviale d'Égypte qui se prononcera ouvertement pour elle et qui dépensera son énergie et ses ressources dans ce but. Elle rejette l'idée de réunir l'Égypte et l'empire arabe sous une même monarchie, parce que les Égyptiens n'appartiennent pas à la race arabe ; ils sont de la famille berbère africaine et la langue qu'ils parlaient avant l'Islam n'avait aucune ressemblance avec l'arabe. De plus, il existe entre l'Égypte et l'empire arabe une frontière naturelle qu'on doit respecter sous peine d'introduire, dans le nouvel État, des germes de discorde et de destruction. Jamais, du reste, les anciens Califes arabes n'ont pu réus sir à dominer longtemps sur les deux pays à la fois.

La Patrie arabe offre aussi le Califat religieux universel, sur tout l'Islam, au chérif (descendant du prophète) qui embrassera franchement son parti et se consacrera à cette œuvre. Ce Calife religieux aura pour État politique, complètement indépendant, tout le vilayet actuel du Hedjaz, avec la ville et le territoire de Médine jusqu'à Akaba. Il jouira des honneurs souverains et possédera une autorité morale réelle sur tous les Musulmans de la terre. Une des principales causes de la chute de l'empire immense des Arabes, a été la centralisation en une seule main du pouvoir civil et religieux. C'est aussi pour cette raison que le Califat de l'Islam est devenu, au jourd'hui, si ridicule et si méprisable entre les mains des Turcs. Le successeur du Prophète d'Allah doit jouir d'un prestige moral incontestable ; toute sa vie doit être d'une honorabilité sans reproche ; son autorité sans atteinte ; Sa Majesté indépendante. Ainsi, son pouvoir sera universelle ; de sa résidence il gouvernera moralement tous les Musulmans de l'univers qui accourront en pèlerinage aux sanctuaires de Mahomet.

Comment le Turc Abdul-Hamid ose-t-il se faire appeler Calife ? Qu'est-ce, en effet, qu'un Calife qui ne comprend pas l'arabe ? qui a 65 ans et qui n'a pas encore accompli son pèlerinage ? Qui est assassin et menteur, qui vole ses sujets, qui fait massacrer les pèlerins de la Mecque, qui réserve ses faveurs aux pires criminels, et qui reçoit des coups de pied de tous les ambassadeurs accrédités près de lui ? Qu'est-ce que c'est enfin qu'un Chef Suprême d'une religion aussi répandue que l'Islam, qui ne peut sortir de chez lui sans craindre d'être assassiné et qui est unanimement détesté par tous ses sujets, surtout par les Musulmans arabes ? Car du Tigre au canal de Suez, et de la Méditerranée à la mer d'Oman, il n'est pas un seul Musulman, un seul Moufti, un seul Uléma, qui ne maudisse, cent fois par jour, ce prétendu Commandeur des croyants. Le Calife de l'Islam doit ou bien être souverain de tous les Musulmans de la terre, réunis en un seul État, ce qui a été toujours impossible, même sous les premiers Califes ; ou bien être tout simplement souverain d'un pays entièrement musulman. Or, il n'est pas de pays plus musulman que le Hedjaz, et il n'existe pas de villes plus propres à recevoir le Chef Suprême des croyants que Médine et la Mecque.

Tout le monde donc, doit s'incliner devant cette solution pacifique de la question d'Orient parfaitement en rapport avec les besoins actuels et les intérêts à venir de toutes les nations. Le nombre de ceux qui peuvent avoir des intérêts personnels opposés à cette combinaison est trop insignifiant pour que nous ayons besoin de nous en occuper.
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