La scolarisation des femmes,

un impératif islamique

Thomas Sibille
Il y a quelques mois, on annonçait l’interdiction de l’accès à l’enseignement pour la femme en Afghanistan. Loin de moi la prétention de pouvoir juger de la politique d’un pays détruit par des années de guerre, victime de l’appétit des États impérialistes – tant occidentaux que de la défunte URSS – et en proie à de nombreuses difficultés – famine, attentats etc. Cette décision est toutefois nécessairement perçue comme une illustration des préceptes de l’islam. À l'encontre de ce récit essentialiste, la tradition islamique n’a eu de cesse d’insister sur l’importance du savoir et de l’éducation pour tous et toutes. Au-delà des principes coraniques et ceux de la sunna, de nombreuses figures historiques attestent ainsi de l’obligation de connaissance qui incombe aux fidèles – quel que soit leur genre.

Savoir et éducation dans l’enseignement des prophètes

Les prophètes envoyés par Dieu ont lutté de toutes leurs forces pour sortir les êtres humains de la servitude des passions vers la liberté que procure la foi en Dieu. Envoyés aux créatures de Dieu, les Messagers ont honoré homme et femme sans distinction. Les Évangiles nous relatent la bonté de Jésus à l’égard de sa mère Marie et des femmes en général – y compris celles méprisées par l’époque où elles évoluaient. Jésus prenait soin d’elles et s’adressait avec la plus grande déférence à celles qui étaient mis au banc de la société à l’image des prostituées et des veuves. Ce n’est qu’à partir des enseignements de l’apôtre Paul et de son enseignement qu’une théologie spécifique à la femme contribua à l’exclure.

Le Coran et l’enseignement de Muhammad ﷺ témoignent de cette même attention envers les femmes. Tout au long du récit coranique, des figures féminines sont mises en valeur par leur foi et leur détermination. Ainsi en va-t-il des exemples vivants de de Hajar, la femme d’Abraham qui place toute sa confiance en Dieu lorsqu’elle se retrouve seule avec son fils Ismail dans le désert, celui d’Assia la femme de Pharaon qui témoigne de sa foi en Dieu malgré la mécréance de son mari, ou la jeune bergère qui deviendra la femme de Moise et, bien sûr, Marie la mère de Jésus à laquelle une sourate entière est consacrée. Si l’ensemble des prophètes ont eu cette préoccupation de valoriser les femmes et de s’adresser à elles autant qu’aux hommes, c’est bien parce que tous deux sont égaux dans leurs besoins spirituels, qu’ils sont partenaires dans la vie présente et qu’ils agissent ensemble dans la société. Le Coran affirme clairement ce dessein : « Les croyants et les croyantes, quant à eux, sont solidaires les uns des autres. Ils incitent à la vertu, condamnent le vice, accomplissent la prière, s’acquittent de l’aumône et obéissent à Dieu et Son Messager. Voilà ceux que Dieu, Tout Puissant et infiniment Sage, admettra dans Sa grâce » (9:71).

La libération féminine dans les messages divins

Il est dramatique de constater que, malgré la clarté des directives de l’islam, certains cachent une partie du Livre et se permettent ainsi de rabaisser les femmes et de les priver d’éducation. La révélation a transformé les mœurs de l’époque, elle a donné à la femme la place qui lui sied au sein de la société ; étrangement, certains font marche arrière et reviennent à des comportements de la période ante-islamique, congédiés par le Coran en ces termes : « Et lorsqu’on annonce à l’un d’eux une fille, son visage s’assombrit et une rage profonde (l’envahît). Il se cache des gens, à cause du malheur qu’on lui a annoncé. Doit-il la garder malgré la honte ou l’enfouira-t-il dans la terre? Combien est mauvais leur jugement » (16: 58-59) ; « …quand on demandera à la filette enterrée vivante pour quel péché on la tua? » (81: 8-9).

Après avoir blâmé le fait de rejeter les femmes, dans la pire manifestation de rejet qui puisse exister, c’est-à-dire la privation de la vie, le Coran dans sa démarche éducative a également rappelé qu’homme et femme sont crées dans un même but : « Je n’ai créé les djinns et l’être humain que pour qu’ils m’adorent » (51: 56). Adorer Dieu en islam n’est pas limité au culte mais renvoie à tout ce que Dieu aime et agrée. L’adoration de Dieu en islam dépasse le cadre spirituel, la foi rayonne aussi dans l’ordre temporel : adorer Dieu revient ainsi autant à rendre le culte que mener une vie juste et bonne, ce qui implique par nécessité l’accès aux vertus de la connaissance. L’éducation en islam est donc une priorité, une obligation individuelle et impérative qui s’adresse à tous et toutes. Il en témoigne le premier verset révélé qui ordonne de lire (Iqra!), sans distinction entre hommes et femmes.

Femmes et hommes en quête de savoir

Après cette impulsion coranique, les premiers musulmans se sont dirigés vers le savoir, quitte à aller le chercher jusqu’en Chine. Surtout, cette incitation à la connaissance a poussé les musulmans à être curieux de tout et à ne pas diviser le savoir en profane et religieux – comme l’a fait le monde moderne.
À l’inverse les musulmans ont considéré la science comme une seule et même chose, ce qui a conduit à l’excellence de nombreux savants tant dans l’exégèse coranique que s'agissant de la médecine, du droit des mathématiques, de l’astrologie, etc…C’est par cette valorisation du savoir qu’ils ont pu influencer le monde entier et devenir l’élite intellectuelle du Moyen-âge, que l’on peut nommer âge d’or du monde musulman, période riche et prolifique qui poussera les peuples du monde entier à apprendre l’arabe afin de prendre leur part dans cet élan civilisationnel.

Ces savants étaient autant des hommes que des femmes, à commencer par Aïcha, la femme du prophète ﷺ qui forma des générations de savants et de savantes. L’héritage de ces femmes nourries de l’enseignement prophétique est encore visible pour qui prend le temps d’observer. Ceux qui ont voyagé en Égypte connaissent sûrement la mosquée d’As-Sayyidah Nafīsah, un monument classé au patrimoine mondial de l’UNESCO. Cette mosquée fait référence à une grande figure de l’islam, As-Sayyidah Nafīsah qu’Ibn kathir décrit en ces termes ; « C’était une femme riche, qui rendait beaucoup de services aux gens, en particulier aux paralysés, aux personnes gravement malades et à tous les autres malades. Elle était pieuse, ascétique et d’une vertu abondante. Lorsque l’imam ash-Shafi’i est arrivé en Égypte, elle lui a fait du bien, et parfois as-Shafi’i l’a conduite dans les prières du Ramadan. » (Ibn Kathir, Al Bidaya wa an nihaya). Elle eut ainsi de nombreux élèves dont l’imam as-Shafi’i à qui elle enseignait le hadith. Au moment de sa mort celui-ci mentionna dans son testament qu’il revenait à Nafisah de faire la prière mortuaire sur lui, le corps de l’imam fut transporté dans sa maison où elle pria pour lui.
Ces exemples sont si nombreux qu’une vie ne suffirait à les énumérer. Le cheikh d’origine indienne Muhammad Akram a tenté de le faire, il publia son travail sous forme d’une encyclopédie de quarante volumes, à travers lesquels il cite les biographies de femmes savantes, d’enseignantes et d’éducatrices qui ont donné leur vie à la science. Aussi l’histoire de l’islam relate-t-elle que les femmes participaient en tout point à la vie en société. Par exemple, le droit de vote en France pour les femmes date de 1944 ; les femmes musulmanes de Médine quant à elles étaient déjà consultées pour les affaires les plus importantes, comme en témoigne l’élection de Othman au rang de calife suite à la consultation de l’ensemble des habitants et habitantes de Médine.

Cette notion de responsabilité commune de l’homme et de la femme – et également de récompense identique dans la vie future – est également explicite dans le Coran, qui invente ainsi l’écriture inclusive avant l’heure : « Les Musulmans et musulmanes, croyants et croyantes, obéissants et obéissantes, loyaux et loyales, endurants et endurantes, déférents et déférentes (humbles), donneurs et donneuses d’aumônes, jeuneures et jeûneuses, gardiens de leur chasteté et gardiennes, invocateurs souvent d’Allah et invocatrices: Allah à préparé pour eux un pardon et une énorme récompense » (33: 35).

À l’inverse, une société au sein de laquelle les femmes sont maintenues ignorantes court à sa perte. Malek Bennabi écrivait ainsi que « La femme est un pôle de l'humanité, dont l'autre est représenté par l'homme, et si l'un disparait, l'autre perd fatalement sa signification. » (Malek Bennabi, Les conditions de la renaissance). Priver la femme d’éducation, c’est contribuer à détruire la société ; à l’inverse, l’inclure dans le projet de société contribue à la renaissance de celle-ci.

La pensée d’Ibn Badis, ou l'importance de l'instruction des femmes

Parmi les exemples majeurs attestant de l’importance de l’éducation féminine au sein de la pensée islamique, nous pouvons nous référer à la pensée du cheikh Abdelhamid ibn Badis – figure de la résistance savante en Algérie à la colonisation française. Alors que celle-ci avait méthodiquement conduit les Algériens à l’analphabétisme et l’acculturation, le cheikh insista sur l’importance de l’enseignement et de la plume face aux canons des colons. Toute sa vie fut ainsi dédiée à l’enseignement adressé à l’ensemble de son peuple, femmes, hommes et enfants. Ses contemporains critiquèrent sa volonté d’enseigner aux femmes, à quoi il rétorqua : « si nous voulons former des hommes, nous devons former des mères, si nous les laissons ignorantes elles ne pourront former de grands hommes ». Au-delà de leur rôle de mères, il s’indignait de l’abandon de la femme à l’ignorance en ces termes : « Pourquoi punissons-nous les femmes en ne leur offrant pas l’instruction ? L’apprentissage est-il un réceptacle clair pour les hommes et obscur pour les femmes ? »

Conformément à l’enseignement prophétique, il donna aux femmes le droit à l’éducation et contribua à créer des générations de femmes instruites qui s’engagèrent pour la libération de leur pays : « Je combats le colonialisme par l’éducation. Quand l’éducation et l’instruction se propagent dans un pays, elles détruisent le colonialisme » affirmait-il ainsi (Ibn Badis, Quand la plume soumet les canons).

Alors que l’islam a été authentiquement révolutionnaire s’agissant de l’importance conférée aux femmes pour la vie sociale toute entière – la foi n’étant pas une abstraction mais une obligation holiste, l’impératif d’adoration également adressé aux hommes et aux femmes témoigne ainsi du refus de l’effacement de ces dernières dans toutes les sphères de l'existence. Lorsque les musulmans cessent aux exigences coraniques, l’injustice se répand : les forts s’en prennent aux faibles, les riches aux pauvres, les hommes aux femmes etc. L’islam est alors départi de l’universalité de sa révélation et de l’exemplarité qu’il inculque à l’humanité. Le diktat des hommes est ainsi simultanément une grave contravention à la souveraineté divine et aux préceptes qui guident les fidèles.

La raison de ce masculinisme tout à la fois musulman – c’est-à-dire porté par des musulmans faisant erreur – et anti-islamique est simple : l’individualisme effréné des Modernes conduit ainsi certains d’entre les musulmans à craindre les effets de l’émancipation des femmes, ce qui les conduit en retour à une vision simpliste et sclérosée de la religion dont ils sont les tenants. Ils privent ainsi les femmes de l’instruction auquel elle a légitimement droit. Ce n’est pourtant que la connaissance qui permet la vertu morale à laquelle aspire l’essentiel des musulmans, pour eux comme pour leurs proches.

La peur de la destruction libérale des solidarités et des liens qui fondent la société a pourtant été largement traitée par les penseurs musulmans contemporains. Malek Bennabi pointe ainsi le piège tendu par la modernité capitaliste aux femmes : « Nous savons que l'Européenne a été victime sur ce point, car la société qui l'a émancipée, l'a jetée à l'usine, à l'atelier, au bureau en lui disant : « Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front. » (Maleb Bennabi, Les conditions de la renaissance).
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L'ignorance comme cause de destruction

Dans un ouvrage, Bennabi rappelle le lien entre le savoir et la renaissance du monde musulman : « L’action doit être guidée par la lumière de la science comme l’indique l’imam Al Boukhari, mais le monde musulman est loin de trouver cette lumière qui n’est autre que la réalisation du premier verset Coranique « Lis au Nom de Ton Seigneur ». On est loin d’être la nation de la lecture, comment peut-on être celle de la renaissance ?! » (Malek Bennabi, La crise du monde musulman).

Si l’islam offre un secours aux Modernes que nous sommes, cette voie ne peut être atteinte que par l’accès au savoir et à l’éducation de tous et toutes. C’est le savoir transformé en action qui apporte efficacité et réforme quand l’ignorance détruit et condamne à la décrépitude morale. Priver une partie de la société de l’éducation revient ainsi créer une frustration de rare gravité et par suite à jeter dans les bras de son adversaire un pan entier de sa société. Comment en vouloir ainsi à celles qui font le choix de la sécularisation si elles sont privées du droit que l’islam leur a pourtant reconnu ? Une telle contradiction permet en retour de justifier du bienfondé des attaques dont la religion musulmane est sans cesse victime.

Cet état de fait avait conduit Ibn Badis à expliquer comme suit le verset « nous avons fait de certains d’entre vous une épreuve pour les autres » : les musulmans sont une épreuve pour ceux qui ne croient pas à cause de leur ignorance qui déforme l’image réel de l’islam, tandis que ceux qui ne croient pas sont une épreuve pour les musulmans car leur état de puissance et de progrès pousse les croyants à les imiter en toutes choses (Ali Merad, Ibn Badis commentateur du Coran, éditions Guethner). Similairement, le cheikh Bachir al Ibrahimi écrivait que « le pire défaut de ceux qui acceptent la culture occidentale, c’est une ignorance totale des vérités de l’islam et le pire défaut de ceux qui se réclament de la culture islamique est une ignorance totale des problèmes et des exigences de notre société ».

Aussi la question de l’éducation de la femme et de sa place dans la société ne peut-elle être traitée en dehors des questions politiques qui parcourent le monde actuel. Les enjeux de cette question dans la situation de l’Afghanistan aujourd’hui, de l’Iraq hier ou de l’Algérie coloniale par exemple ne sont pas un simple problème culturel. Au nom de la nécessité de l’émancipation des femmes, des guerres terribles ont été menées et des peuples ont été aussi déshumanisés que privés de liberté.

Le fameux slogan colonial « ayons la femme, le reste suivra » atteste ainsi de cette volonté de destruction des sociétés colonisés en instrumentalisant la question de la place des femmes en leur sein et en faisant un alibi aisé pour justifier de leur ingérence. Il est dès lors nécessaire de rejeter tant les privations de liberté des femmes conduites au nom d’une lecture erronée de la religion que la réaction impérialiste qui les prend pour prétexte – ces deux phénomènes formant de fait système.

Ce n’est ainsi qu’en retrouvant les lumières du savoir pour tous que les musulmans peuvent sortir de l’ornière dans laquelle ils se trouvent. Lorsque le prophète arriva à Médine, il trouva des tribus divisées et une ville où régnait méfiance et conflits ; ce n’est que par par l’enseignement qu’il diffusa qu’il réussit à unir les cœurs et faire taire les querelles. La révélation, qui porte en elle la perfection du Créateur, affirme à tous et toutes l’impératif du savoir. Aussi s’agit-il d’arpenter à nouveau ce chemin sur lequel nous ont devancé Hajar, Assia, Marie et Khadija.
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