Notre pays n’est pas sous la coupe d’un régime autoritaire au sens plein du terme, ni même prisonnier d’un autoritarisme déguisé ou diffus. Il n’est pas plus au bord de la guerre civile ; il serait excessif de le laisser penser et de le faire accroire. Il n’est pas livré à l’arbitraire de gouvernants, liés les uns aux autres de concert, auxquels rien, partant, ne pourrait être contesté et opposé. La société n’est donc pas atone, paralysée, au point qu’elle serait livrée, passive, à des autocrates omnipotents qui ne gouverneraient que par cynisme, dans la coulisse, par intimidation et répression.
Sans être aussi sombre, la scène politique française n’en renvoie pas moins une image dégradée, et à tout le moins inquiétante. Elle mérite ce faisant d’être décortiquée et restituée dans sa complexité, en dévoilant ce qui ne tourne pas rond. Une gauche identitariste[1] a été consacrée et boostée avec l’élection et le mandat présidentiel d’Emmanuel Macron entre 2017 et 2022. Cette gauche représente une sorte de bloc bourgeois qui a tendu à consacrer et à renforcer, par la revisite sélective de fragments de l’Histoire française, un certain imaginaire de la République, de la nation et de l’identité ; François Hollande, président socialiste de 2012 à 2017, en a préparé le terrain, en le fertilisant, bon gré mal gré. On pourrait même faire remonter les prodromes de cette inquiétante descente vers l’abîme sécuritaire et identitariste au mandat présidentiel de Nicolas Sarkozy (2007-2012), fondateur d’un ministère de l’Immigration, de l’Identité nationale et du Développement solidaire, en 2007. Cette gauche, qui se roule à son tour dans la fange identitariste en reprenant et en normalisant les mots et thèmes de l’extrême droite, transcende les personnalités et les espaces gouvernementaux et parlementaires.
Si nous sommes toujours en démocratie, et qu’elle n’a pas dit son dernier mot, elle n’en reste pas moins en crise, outre du point de vue social, essentiellement à trois autres niveaux, qui sont aussi trois critères fondamentaux de tout régime démocratique qui se respecte : la liberté d’expression, la liberté d’association et un large accès à la citoyenneté[2]. De ce point de vue, la démocratie française donne des signes de fatigue ; elle se fissure et craquelle, au vu des mouvements sociaux des derniers mois et années, contre la cherté de la vie, le mépris d’une certaine classe politique à l’égard des petites gens, une forme de banalisation de la parole raciste (antisémite, négrophobe, antimusulmane, anti-Roms, etc.), l’évacuation de la question sociale de l’agenda des gouvernants, les conséquences, sanitaires, morales et économiques, de la pandémie de Covid-19, etc. La démocratie est sujette à des convulsions internes comme d’ailleurs beaucoup d’autres démocraties européennes gagnées par les populismes qui montent.
Le philosophe français Grégoire Chamayou analyse limpidement le contexte d’émergence en 1932 de l’expression « libéralisme autoritaire » et sa signification[3] en confrontant deux penseurs contemporains de la même époque, aux positionnements politiques et intellectuels radicalement antagoniques : Carl Schmitt (1888-1985) et Hermann Heller (1891-1933). Toutes choses égales par ailleurs, sans comparer terme à terme leur époque et la nôtre, et exagérer l’analogie, cette expression, libéralisme autoritaire, est heureuse pour caractériser la période 2015-2022. L’on est effectivement fondé à dire que nous avons eu affaire à un État dirigé autoritairement par des pouvoirs politiques qui voyaient d’un mauvais oeil la démocratie des contestataires, lorsque ces derniers avaient l’outrecuidance de s’opposer avec vigueur aux orientations économiques et sécuritaires, pour lesquelles l’État savait faire preuve de rigueur préventive et répressive, tout en libéralisant toujours plus l’économie. En d’autres termes, depuis 2015, a éclos, selon la belle formule du sociologue Wolfgang Streeck en référence à la pensée schmitienne (Grégoire Chamayou cite le propos du premier dans le texte) « un État fort-faible. Fort […] contre les revendications démocratiques de redistribution sociale, mais faible dans sa relation au marché [4] ». Il n’en reste pas moins que cet oxymore renferme quelque chose de redoutablement actuel : une attaque en règle contre un certain héritage des Lumières, des droits de l’homme et de l’État de droit démocratique, dans une perspective émancipatrice, fût-ce à l’insu de ses protagonistes. La situation hexagonale n’est de ce point de vue ni tout à fait inédite ni totalement singulière. Il est vrai, en revanche, que cette crise est alimentée et approfondie par une vague de fond « confusionniste », « ultra-conservatrice », nationaliste et « identitariste [5]» dont l’alchimie, elle, est forcément particulière.
Il est vrai qu’aucune situation ne ressemble trait pour trait à une autre. Le propre de la situation française, si tant est qu’il soit possible de l’énoncer en ces termes, tient dans la rupture avec les points de repère idéologiques et politiques classiques hérités de la Révolution française, qui distinguaient, par exemple, la gauche de la droite. L’on assiste, s’agissant de la vie politique française, à « une extrême droitisation, c’est-à-dire qu’elle est marquée par « une aimantation par les thèmes d’extrême droite », lesquels prospèrent, se diffusent et se renforcent dans les espaces public et politique, ne suscitant plus d’aussi vives réactions que par le passé, notamment au sommet de l’État. Lequel, a contrario, peut également donner prise à des préjugés culturalistes et à en être, ce faisant, un conducteur, actif et passif. Le politiste Daniel Lindenberg (1940-2018) avait pressenti, en visionnaire, dès 2002, un certain état des choses, vermoulu, que nous pouvons ressentir dans notre esprit et notre chair aujourd’hui, en pire, plus qu’hier :
« Le 21 avril 2002 a emporté bien des certitudes. N’y voir qu’un effet de discrédit des élites, comme le font beaucoup ces derniers temps, c’est non seulement faire le jeu des populismes qui ont aujourd’hui le vent en poupe en Europe, mais aussi ignorer la puissance corrosive des idées qui s’affirment et que traduit le retour de thèmes aux saveurs un peu oubliées : l’ordre, l’autorité, la restauration des valeurs, le « peuple réel » (souvenons-nous un instant du « pays réel » de Charles Maurras), voire le culte des racines et des identités constituées. Autant de figures qui renvoient en réalité à une méfiance de plus en plus marquée à l’égard de la démocratie, de l’État de droit et des fondements d’une "société ouverte" au moment même où on les croyait durablement installés dans les esprits. […] Exit l’État de droit, retour à l’État-Léviathan comme ultime recours devant le spectre de la "guerre de tous contre tous". Tel serait le programme du "siècle qui naît" » [6].
Pendant que certains pérorent doctement sur « le djihadisme d’atmosphère[7] », mettant grand soin à alerter les autorités gouvernementales contre l’entrisme islamiste, l’islamisme qui s’invite dans nos vies, dans les quartiers populaires, dans les snacks, dans les supermarchés, dans nos assiettes, dans les salles de sport, et tutti quanti, l’extrême droite, elle, frappe avec insistance aux portes de la magistrature suprême depuis deux décennies ; sa parole, imperturbablement, se diffuse et infuse ; rien ne l’arrête ; il faut dire qu’elle bénéficie d’improbables aides de camp. À cette aune, rien de surprenant aux résultats des dernières présidentielles : hors présence au second tour pour la troisième fois en 20 ans de l’extrême-droite, si l’on comptabilise les voix extrémistes au 1er tour du 10 avril 2022, elles totalisent à elles seules 32 % des suffrages exprimés. Emmanuel Macron, son gouvernement et son parti n’ont en rien enrayé sa progression, bien au contraire lui ont-ils fait la courte échelle à maints égards[8]. Il n’y a pas, à ce que l’on sache, de candidats, de ministres et d’élus de la nation qui font cause commune avec les idées djihadistes ou islamistes, mais le récit apocalyptique du grand remplacement[9] porté sur les fonts baptismaux par l’écrivain d’extrême droite, Renaud Camus, tient désormais bonne place dans les champs politique et médiatique ; des enquêtes d’opinion[10] la relayent, des journaux respectables la commentent[11], comme si de rien n’était, en la créditant d’un coefficient de recevabilité dans le débat public[12] ; sans que cela émeuve outre mesure ; au contraire est-elle devenue une thèse comme une autre, peu ou prou défendable, qui, pour ainsi dire, ne fait pas scandale. D’autres exemples sondagiers, tout aussi éthiquement douteux, existent[13].
Et pourtant. La théorie du grand remplacement a servi de point d’appui criminel, entre autres aux actes terroristes du 22 juillet 2011 du Norvégien Anders Breivik et à ceux de Brenton Tarrent en Nouvelle-Zélande, le 15 mars 2019, contre deux mosquées de Christchurch. La gauche, version Printemps républicain[14], autoproclamée républicaine, laïque, universaliste, continue de baisser la garde, se donne à bon compte bonne conscience, cependant qu’elle reprend, sans crier gare, le répertoire discursif de l’extrême droite lorsque certains de ses membres énoncent, tranquillement, « l’islamisation[15]», tout droit sortie du bestiaire de l’extrême droite identitaire. Elle pense que la gauche ne peut rester fidèlement la gauche et ne point disparaître que si elle s’éloigne « pour de bon du chant des sirènes autoproclamées du progressisme qui veulent lui faire épouser définitivement la dérive libérale et multiculturaliste des dernières décennies et le soi-disant “nouveau” peuple qui va avec [16]». De ce point de vue, le musulman tient bonne place ; il n’est acceptable que s’il rase les murs, reste à la place qui lui a été assignée, qu’il se délecte, en silence, des bienfaits de la citoyenneté octroyée, et que, surtout il ne se mêle pas de politique au nom de sa foi ; sinon, il sera accusé, sans coup férir, d’islamisme qui, comme tout stigmate[17], accuse, disqualifie et marginalise.
Ainsi s’habitue-t-on à cet air du temps, par lassitude, résignation, électoralisme ou complicité. La rhétorique nationaliste, identitaire et sécuritaire opère une telle pénétration au sein de la sphère politique instituée qu’elle en est aussi désarmante qu’inquiétante. Et, outre les professionnels de la politique, bien des acteurs collectifs, médias compris, sans pour autant en faire des espèces de deus ex machina, participent de l’atrophie générale de la vigilance démocratique collective ; une espèce d’accoutumance s’insinue subrepticement ; on baisse la garde face aux provocations et aux outrances désinhibées et désinhibitrices d’éditorialistes passés à la compétition politique, à l’instar du polémiste Éric Zemmour. Il n’est pas ou plus seulement un polémiste : c’est un raciste, devenu acteur politique presque comme un autre. Ce dernier symbolise effectivement mieux que quiconque cette atmosphère viciée qui n’en finit pas de s’épaissir et de se répandre. Misogyne, xénophobe et islamophobe rabique, le candidat à la présidentielle 2022 déroule sa vulgate raciste, y compris en l’habillant d’atours historiques, fussent-ils tronqués. Plus c’est gros, plus ça passe. Il propose de créer un ministère de la Rémigration : « Rémigration, ça veut dire les clandestins, puis les délinquants, les criminels, puis les fichés S étrangers. On peut imaginer 100 000 renvois par an [18]» ; une façon édulcorée d’annoncer des expulsions massives ou des déportations, évidemment au mépris des droits humains, avec tout l’arrière-plan qu’il sous-tend à dessein, envoyant un message à ses partisans et électeurs les plus durs de l’électorat extrémiste, identitaire et complotiste ; des membres de ses équipes se sont même permis d’envoyer des messages discriminatoires la veille du 1er tour de l’élection, le 8 avril, à l’adresse de gens de confession juive réelle ou supposée : « L’antisémitisme qui tue aujourd’hui est islamique » ; le polémiste-candidat y est présenté comme « le seul à dénoncer l’expansion de l’islam qui ravage notre pays [19]», etc.
Pis, en dépit de ce portrait et de ses états de service, il a à peine été bousculé par ses anciens confrères et consoeurs, ainsi que ses adversaires politiques : certains n’en disent trop rien, autrement dit ni en approuvent ni en dénoncent clairement les excès et diatribes ; d’autres préfèrent se réfugier dans l’édulcoration de la critique ; ils l’assortissent de tels euphémismes qu’il ne fait plus mystère que, en définitive, ils le soutiennent ou convergent, surtout lorsqu’ils n’évoquent jamais à son propos, les biais racistes antimusulmans, ou racistes tout court[20]. Malgré sa condamnation par la justice en 2011 pour « provocation à la haine raciale », rien n’y fait ; il continue d’écumer les plateaux de télévision et participer, en guest star, aux émissions de grande écoute. Et ce, même s’il a de nouveau été jugé coupable, pour la troisième fois le 17 janvier 2022, de « provocation à la haine et à la violence » et d’« injures publiques envers un groupe de personnes en raison de leur origine », après des propos tenus au sujet de mineurs isolés étrangers qualifiés rien moins que de « voleurs », « violeurs » et « assassins », sur la chaîne d’information continue Cnews. Chaîne qui, il faut le souligner, travaille depuis quelques années à la normalisation des idées d’extrême droite, s’escrimant à leur conférer une respectabilité.
Les propos antimusulmans, anti-Roms, anti-migrants et misogynes sont finalement peu coûteux symboliquement, au regard de leur gravité. Ils apparaissent banals, à défaut d’être tout uniment acceptés par les uns et les autres ; certains résistent malgré tout, gens ordinaires, syndicalistes ou politiques. Cette accoutumance malsaine, disions-nous plus haut, au discours d’Éric Zemmour est perturbante à plus d’un titre. En effet, l’antisémitisme est combattu et fermement condamné (et c’est heureux) comme il doit l’être systématiquement, moralement, politiquement et juridiquement. C’est le cas lorsqu’il est exprimé sans vergogne par des antisémites notoires tels l’humoriste Dieudonné et le polémiste Alain Soral qui se produisent sur Internet et les réseaux sociaux où ils rencontrent un certain succès tout aussi inquiétant. On ne peut alors esquiver le constat objectif d’un deux-poids-deux-mesures vécu et ressenti comme tel par d’autres minorités ethnoreligieuses stigmatisées et agonisées dans un certain discours public ; dans le discours d’Éric Zemmour, qui dit tranquillement, sur Europe 1, en septembre 2021, que « l’islam est une civilisation incompatible avec les principes de la France 2 », sans susciter le même opprobre et tir de barrage de la part des responsables politiques, à quelques rares exceptions près. Éric Zemmour défend la théorie criminogène du grand remplacement, introduite en 2010-2011 par l’écrivain d’extrême droite Renaud Camus. Aux fins de vitupérer le multiculturalisme en général et l’islam en particulier [21]. Or, l’expression, naguère peu usitée et cantonnée aux marges de l’extrême droite, est désormais reprise, sans être déconstruite, par des acteurs politiques d’envergure nationale à l’instar de Valérie Pécresse du parti Les Républicains [22], laquelle parle même de « Français de papier », établissant une citoyenneté à géométrie variable en fonction des origines réelles ou présumées des personnes.
L’expression grand remplacement a également été reprise, sans être contestée, par l’avocat normalien, ancien du Parti socialiste et aujourd’hui membre du Printemps républicain [23], Simon Olivennes. Ce dernier affirme dans les colonnes de Valeurs actuelles, à mi-chemin entre la description, sans aucune donnée factuelle probante, et la prescription, que « quatre grandes angoisses [qui] structurent la vie politique française [24] », dont justement celle du grand remplacement. Il explique doctement, dans une tribune du Figaro vox datée du 3 septembre 2019 et citée à dessein par Valeurs actuelles, que « le discours anti-populiste des bien-pensants » est stérile. Les tenants de ce discours s’aveugleraient au sujet de « l’angoisse d’une partie de la population de souche ou d’immigration ancienne face à l’immigration récente et à l’islamisation de parties du territoire, face aux attentats et au développement du communautarisme [25]». L’islamisation [26], expression typiquement d’extrême droite reprise par cette gauche identitaire, serait donc un projet mûrement réfléchi par les musulmans ; celle-là serait à la source non seulement du communautarisme mais également du terrorisme. « Communautarisme » confondu avec fraternité communautaire, pour signaler et signifier un projet supposément subversif des musulmans de France [27]. Rares sont précisément les éditorialistes, journalistes, femmes et hommes politiques, à mettre en cause explicitement les accents ouvertement islamophobes de ladite théorie, préférant dénoncer a minima, quand c’est effectivement le cas, l’aspect xénophobe et anti-immigré qui lui est sous-jacent.
Plus concrètement cette fois-ci : qu’est-ce qui, comparativement, est plus nocif pour la qualité du lien social et la santé du débat apaisé de société ? Les paroles discriminatoires ou comminatoires d’établis, c’est-à-dire de personnalités publiques respectables, voire décisionnaires, ou les interpellations et revendications de militants, blogueurs, socialement marginalisés, à l’écart des sphères de décision et sans aucun pouvoir réel sur la manière de voir et de faire voir la réalité comme ceci plutôt que comme cela ? Qu’est-ce qui est le plus dangereux pour l’ordre public, ainsi que le pacte social ? Des manifestants, fussent-ils de bruyants contestataires des politiques gouvernementales, des antiracistes, des militants anti-islamophobie
[28], etc., majoritairement non-violents, ou des généraux de l’Armée à la retraite qui, au mépris du devoir de réserve qui sied à leur statut, sélectionnent, dans un journal d’extrême droite, des cibles privilégiées, agrémentant leur libelle d’exhortations politiques teintées de menaces, et annonçant, dans des accents performatifs, que « si rien n’est entrepris, le laxisme continuera à se répandre inexorablement dans la société, provoquant au final une explosion et l’intervention de nos camarades d’active dans une mission périlleuse de protection de nos valeurs civilisationnelles et de sauvegarde de nos compatriotes sur le territoire national[29] » ! ?
Ceux-là croient fermement au choc des civilisations. Ils prophétisent ni plus ni moins la guerre civile qu’ils disent vouloir empêcher. Tout en en entretenant la funeste perspective. Pour solde de tout compte, il n’y eut qu’un « timide rappel à l’ordre des autorités militaires [30] » de la part des services ministériels concernés, pendant que Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Éducation nationale, trouvait pertinent d’ouvrir un colloque contre « la pensée décoloniale », laquelle représente une infime partie des recherches universitaires et scientifiques, et surtout ne menace en rien la paix civile, contrairement à ce qu’affirme le ministre qui théorise « un nouvel obscurantisme [qui] vient saper la République et la démocratie[31] ».
Il est des individus et des groupes qui jouissent d’une autorité, d’un pouvoir discrétionnaire et d’infl uence, qui n’ont rien de comparable avec les capitaux dont disposent d’autres acteurs de la vie sociale et militante ; ceux-là ont donc en quelque sorte les moyens de leur parole, de rétorsion et de contrainte morale et physique, contrairement aux seconds [32]. C'est ainsi que la parole publique s’assèche et se décrédibilise auprès de segments plus ou moins significatifs de la société, apparaissant à tort ou à raison forte avec les faibles et faible avec les forts.
[1] Cf. Philippe Corcuff, La Grande confusion. Comment l’extrême droite gagne la bataille des idées, Lonrai, Textuel, 2021, p. 79-142.
[2] Robert Dahl, De la démocratie, traduit de l’américain par Monique
Berry, Nouveaux Horizons, Paris, 2001, p. 83.
[3] Grégoire Chamayou, Du libéralisme autoritaire. Carl Schmitt, Hermann Heller, traduction, présentation et notes de Grégoire Chamayou, La Découverte, Paris, 2020..
[4] Ibid., p. 26.
[5] Cf. Philippe Corcuff, La Grande confusion. Comment l’extrême droite gagne la bataille des idées, Lonrai, op. cit.
[6] Daniel Lindenberg, Le Rappel à l’ordre. Enquête sur les nouveaux réactionnaires, avec une postface inédite de l’auteur, Paris, Seuil, République des idées, octobre 2012 et janvier 2016 pour la postface et la présente édition, p. 7-8.
[7] L’expression, parascientifique, a été forgée par le politiste, Gilles Kepel, spécialiste de l’islam et de l’islamisme, et conseiller diplomatique du président Macron. Il en sera encore question par la suite.
[8] Voir notre tribune récente pour le quotidien Libération : « Il n’y a
pas de vote musulman mais des votes de musulmans », 22 avril 2022,
consulté le 29 avril 2022.
[9] Voir l’excellent travail de déconstruction et de mise en exergue des limites des sondages d’opinion réalisé par le politiste Alain Garrigou, L’Ivresse des sondages, Paris, La Découverte, 2006.
[10] « 67 % de Français inquiets par l’idée d’un “grand remplacement”», selon un sondage (lefigaro.fr), consulté le 11 avril 2022.
[11] « Immigration : les Français ont peur du “grand remplacement” »,
Challenges, consulté le 11 avril 2022.
[12] Cf. « Racisme en France : une prise de conscience mais les préjugés persistent » (sudouest.fr), consulté le 11 avril 2022. Il s’agit d’un sondage publié en mars 2021, commandé à l’IFOP, par l’Union des étudiants juifs de France, SOS Racisme et France Télévisions, au cours duquel il est demandé aux personnes interrogées de répondre à la question de savoir si les Roms, les Musulmans, les Magrébins, les Noirs, les Asiatiques, les Catholiques, les Juifs et les Protestants sont oui ou non « trop nombreux »…
[13] Voir infra.
[14] Cf. Gilles Clavreul, « On a perdu trois ans sur la laïcité », L’Express (site web), 23 février 2021.
[15] Laurent Bouvet, Le Sens du peuple. La gauche, la démocratie, le populisme, Paris, Gallimard, 2012, p. 270.
[16] Erving Goffman, Stigmate. Les usages sociaux des handicaps, traduit de l’anglais par Alain Kihm, Paris, Minuit, 1975.
[16] « Présidentielle : Éric Zemmour veut créer un ministère de la “rémigration” » (europe1.fr), consulté le 14 octobre 2022.
[17] « Enquête ouverte après le SMS de Zemmour aux juifs français » (lecourrierdelatlas.com), consulté le 14 janvier 2022.
[18] Judith Waintraub sur Twitter : « Je n’ai pas les mêmes idées que #Zemmour sur beaucoup de sujets (...) mais l’agressivité de certains journalistes va finir par le rendre sympathique #Sarkozy. CQFD. », Twitter, consulté le 14 mars 2022.
[19] Le Monde, 18 janvier 2022.
[20] « Pour Éric Zemmour, les musulmans peuvent “avoir une pratique ‘chrétienne’ de leur religion” » (europe1.fr), consulté le 20 mars 2021.
[21] L’Humanité, Florent le Du, 16 février 2022.
[22] « “Grand remplacement” : de Renaud Camus à Valérie Pécresse en passant par Éric Zemmour, itinéraire d’une théorie complotiste » (francetvinfo.fr), consulté le 14 mars 2022.
[23] Nous envisagerons plus en détail cette association et ses fi gures clés par la suite.
[24] « Cette tribune par laquelle le “grand remplacement” s’est imposé en politique », Valeurs actuelles, consulté le 14 mars 2022.
[25] Ibid.
[26] Voir l’ouvrage éclairant de Raphaël Liogier, Le Mythe de l’islamisation. Essai sur une obsession collective, Paris, Seuil, 2012.
[27] Haouès Seniguer, « Le communautarisme : faux concept, vrai instrument politique », Histoire, monde et cultures religieuses, 2017/1 (n° 41), p. 15-37. DOI : 10.3917/hmc.041.0015. URL : https://www.cairn.
info/revue-histoire-monde-et-cultures-religieuses-2017-1-page-15.htm.
[28] Nous définirons plus rigoureusement le nom et l’adjectif par la suite.
[29] « “Pour un retour de l’honneur de nos gouvernants” : 20 généraux appellent Macron à défendre le patriotisme », Valeurs actuelles, consulté le 11 mars 2022.
[30] « Tribune des généraux : le timide rappel à l’ordre des autorités militaires », Libération (liberation.fr), consulté le 11 mars 2022.
[31] « À la Sorbonne, Jean-Michel Blanquer participe à un colloque contre l’idéologie woke », Le Figaro Étudiant, consulté le 14 mars 2022.
[32] Cf. Philippe Braud, Sociologie politique (6e édition), Paris, LGDJ,
2002, p. 21-71.