[Chroniques des révolutions arabes]

Entretien avec Faïz, révolutionnaire syrien

Montassir Sakhi et Hamza Esmili

Nous rencontrons Faïz à Antioche, au sein de la région frontalière turco-syrienne, en 2016. Faïz a été contraint de s'y réfugier après avoir fui Alep. Faïz avait été particulièrement actif dans l'organisation de structures médicales au sein des zones libérées du régime de Bachar al-Assad.


Faïz : ma première manifestation date d’avril 2011. Même si nous avions nos vies quotidiennes, nos emplois, nos familles, nous suivions avec passion ce qui se déroulait dans les autres régions du pays. Lorsque les choses ont commencé à Deraa, nous avons tous été touchés. Mais nous n’avions aucun espoir, aucune attente. Mais les choses ont évolué, le régime a torturé les adolescents et leurs parents, la colère a commencé à gronder au sein du peuple syrien pour ce qui s’est passé.

Je suis pharmacien. Au cours de mon exil forcé en Turquie, j’ai fait la connaissance d’un certain nombre de jeunes, issus d’autres régions syriennes ou même d’Alep ». Nous avons ainsi conçu un projet de soutien médical aux nôtres, et j’ai essayé de ne pas rentrer en Syrie les mains vides mais avec quelque chose qui soit utile. Nous avons fait entrer un certain nombre de médicaments et d’impératifs médicaux. Je suis d’abord arrivé à Azzaz, mais n’est pas y demeurer du fait de combat toujours en cours avec la Sûreté militaire. Je suis ensuite allé à Maraa, qui était libéré, et où affluaient les révolutionnaires en direction d’Alep. On travaillait dans le secteur médical, un premier hôpital d’urgence y a ainsi mis en place, puis un second à Tal Rifa’at.

Au fur et à mesure que les villes se libéraient, la décision finale a été d’entrer à Alep. Nous y avons également établi un point médical, une sorte d’hôpital sur un endroit nommé la Terre rouge. Une bataille a eu lieu dans le quartier de Salaheddine où nous avons perdu une grande partie de la ville. Mais petit à petit, les révolutionnaires se sont organisés en milices, jusqu’à former le Liwa’a Tawhid. Le besoin médical était de plus en plus fort, au-delà des blessures militaires, la gestion du quotidien : des opérations classiques, des traitements chroniques etc. J’avais fait la rencontre de beaucoup de médecins en Turquie, des médecins syriens mais vivant des pays d’exil et acquis à la cause de la Révolution. Ils venaient souvent nous voir, nous apportant des médicaments, des appareils etc. Ils voyageaient d’Europe et à la place de valise d’habits amenaient des pansements, des médicaments, etc. On faisait alors tout entrer à partir d’Antioche.

On avait le contrôle d’un hôpital à Alep, nommé la Maison de soins. C’était le plus important d’Alep. A la suite du retrait du régime, des problèmes de sécurité ont émergé, des gens ont commencé à nous voler des médicaments pour les vendre au marché noir. Nous avons mis en place des systèmes de sécurité rudimentaires, mais on a fait fonctionner l’hôpital dans tous ses différents départements ! Après plusieurs mois de bombardement par le régime, où nous avons perdu nombre de malades et de docteurs, en même temps que d’autres hôpitaux révolutionnaires ont vu le jour, nous avons transporté nos équipements non endommagés ainsi que nos médecins qui n’avaient pas été blessé à l’Hôpital az-Zahra.

Tout cela est demeuré en place, jusqu’à ce qu’une nouvelle partie en guerre apparaisse, venue au nom de l’islam et de l’aide à la Révolution et aux syriens : c’était Daech. Certains étaient déjà là, mais ils ont eu le temps de mobiliser. Il y avait bien an-Nusra avant, mais elle était très loin de la force de frappe de Daech. Certains disent qu’il y a une scission au sein de Daech, d’autres qu’ils travaillent différemment au même objectif. En tout cas, les deux ont fait beaucoup de mal.
Mais dès la fin 2013, les crimes de Daech ont pris une ampleur inédite, amenant les révolutionnaires à se mettre d’accord autour de la nécessité de les expulser d’Alep au début 2014.

C’était le 3 janvier 2014. Les différents groupes révolutionnaires ont compris alors que Daech devait être vue et traiter comme le Régime, qu’ils tuaient civils et militaires sans distinction. Ce que n’avait pas pu faire le Régime, Daech l’accomplissait. Les choses ont évolué, cette bataille contre Daech a eu lieu en même temps qu’une recrudescence incroyable des bombardements au barils d’une demie-tonne. Si un baril tombait entre trois immeubles, les trois tombaient.
À l’hôpital, les choses se sont détériorées : les bombardements au baril étaient tellement violents que la pression sur le personnel soignant était insoutenable. C’est à ce moment que nombre d’entre eux, soit parce qu’ils avaient été eux-mêmes blessés, soit par peur de l’être. Le climat sécuritaire allait de mal en pis également, Daech comme an-Nusra conduisaient une politique d’enlèvements sans précédent ainsi que de subtilisation du matériel médical. Alep devenait dure à vivre.

Au mois de Février 2014, après l’expulsion de Daech d’Alep, ils se sont repliés à Heraytane. Par hasard, j’étais parti voir ma ville là-bas, sachant que ma qualité de personnel médical faisant automatiquement un collaborateur de l’Armée libre à leurs yeux. Quand j’y suis arrivé, Daech était en train de massacrer les révolutionnaires dans la ville. Je n’avais plus de nouvelles ma sœur, j’allais la visiter lorsqu’ils ont pris le contrôle total de la ville. J’ai pu arriver à la ville et voir ma sœur, mais ils m’ont raconté ce qui s’est passé dans les semaines précédentes : toute personne ayant un lien avec la Révolution, pas seulement l’ASL, était massacrée en pleine rue, quand bien même son bourreau serait de sa propre famille ; j’étais donc en grand danger, mais j’avais pour moi d’avoir ma fiancée qui y vivait également avec sa famille, ce qui me donnait une bonne raison d’être là.

Je suis allé voir, et ils m’ont dit également que ma présence en cette ville était une erreur. Du coup, j’ai voulu partir et la seule façon et que je sois dans une voiture familiale, en compagnie de ma fiancée et de sa sœur, en direction d’Alep. L’idée était que je les laisse au plus proche de la ville, qu’elles se débrouillent pour rentrer et que moi je continue vers Alep. Il fallait également que je me débarrasse de tout ce qui pouvait évoquer mon travail médical, médicaments dans la voiture, papiers etc. Malgré tous mes efforts, un papier y est resté. Arrêté au check-point tenu par des caucasiens de l’EI, ils m’ont demandé dans un mauvais arabe d’où je venais et où j’allais. J’ai répondu que j’étais originaire de Haraytane mais que j’allais à Alep. Dire que j’habitais en temps normal à Alep m’aurait rendu automatiquement suspect.

Je leur ai donc dit que nous avions juste une course à faire à Alep et puis revenir. Ils ont pris la carte d’identité, même s’ils ne savaient pas lire l’arabe, puis m’ont demandé mon nom.
Il a fouillé la voiture et m’a demandé qui étaient les femmes avec moi, et qui nous voulions visiter à Alep et quelles marchandises acheter. Son collègue qui fouillait la voiture a alors vu le cahier où était le papier recensant les besoins, en anglais et en arabe, d’un hôpital. Il m’a donc demandé si j’étais personnel médical, mais que j’étais retiré. Il ne m’a pas cru, et a tout de suite appelé son QG de commandement, leur a donné mon nom en russe ou quelque chose comme ça. Ils lui ont tout de suite dit de m’arrêter. J’ai quand même pu appeler un ami, lui raconter ma situation. Cet ami était membre d’une milice mais il était également aimé dans la ville et proche du courant islamiste. Il a donc tout de suite appelé Daech pour leur demander de me remettre à lui. Ils m’ont emmené dans un centre commercial immense, Carrefour, dont ils avaient fait leur QG.

Ma femme et sa sœur sont restées dans la voiture, et ils m’ont emmené dans leur véhicule.
L’ami que j’avais contacté s’y trouvait, en grande discussion avec un des commandants de Daech. Ils m’ont bandé les yeux, mais ma femme m’a raconté ensuite que mon ami disait que j’étais un personnel médical pour tous, pas spécialement ASL. Le commandement de Daech était composite, une partie syrienne, mais aussi des algériens, des marocains, des français, des égyptiens etc. J’ai entendu beaucoup de dialectes. Mais mon ami était syrien et la personne à qui il parlait était Abou Doujane al-maghribi. Lorsque je l’ai vu, je l’ai tout de suite reconnu, même si son apparence était différente de celle qu’il avait à Alep : avant, il avait une barbe, portait l’habit tchétchène et les cheveux longs. Il était sécuritaire dans le tribunal civil.



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