Le réel d'une colonisation
Entretien avec Fareed Taamallah - 27 octobre 2023
Quatre personnes ont contribué à l’entretien avec Fareed Taamallah, journaliste, activiste politique et environnemental, et agriculteur résidant à Ramallah en Cisjordanie (Palestine). C’est à travers Éva Marn (Slovénie) coprésidente de l’association Maydan que le contact s’est établi. Les questions sont posées par les chercheurs Catherine Hass (LIER-EHESS), Montassir Sakhi (KUL) et Hamza Esmili (KUL). Cette discussion s'inscrit dans un cycle d'échanges initié par Maydan et Conditions avec des acteurs évoluant dans la réalité israélo-palestinienne.

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Qu’est-ce qui fait date ? Très naturellement, les chercheurs commencent l’entretien à partir de la violence inouïe de l’attaque du Hamas du 7 octobre 2023. Sans la dénier, l’acteur palestinien ne peut cependant accepter ce début. Fareed Taamallah est pourtant solidaire des civils israéliens, il a lui-même des amis parmi les militants pour la paix et autres refuzniks morts dans les kibboutz. Nulle sympathie – tant idéologique que tactique – pour le Hamas ne transparait de son propos. Pour autant, la réalité dans laquelle vit Fareed est si vertigineuse et en même temps si déniée qu’elle commande d’être abordée pour elle-même. Aussi rappelle-t-il patiemment la catastrophe déchaînée sur les siens, bien avant ce 7 octobre fatidique, en cette Cisjordanie où le Hamas n’existe pas, où les Palestiniens sont liés à Israël par des accords collectivement négociés, sans que cela n’atténue la violence d’un État très explicitement différentialiste. Aucune date, selon Fareed, ne doit oblitérer l’histoire des siens, précisément lorsque celle-ci était sur le point d’être rangée au placard des pertes et profits de l’histoire mondiale.

Les chercheurs qui l’interrogent veulent pourtant aborder la dimension religieuse du conflit : quel est le lien de l'État d’Israël avec la question juive aujourd’hui ? Comment l’islam politique s’impose-t-il comme référent collectif à l’ombre du drame colonial ? Ces questions sont d’un côté en lien avec l’effondrement des mouvements nationalistes et socialistes palestiniens après l’épuisement de leurs capacités critiques et l’avènement, au lieu du vide espéré par Israël, d’une perspective théologico-politique où les deux termes du mot à tiret témoignent chacun d’une impasse, laquelle finit d'aboutir au nihilisme le plus violent ; de l’autre à la très prévisible évolution interne du vieux sionisme révisionniste, du nationalisme intégral de Jabotinsky au messianisme kahaniste débridé.

La réponse de notre interlocuteur est paradoxalement optimiste. Le propos de Fareed s’en tient à la question des droits des Palestiniens, sans nul revendication cosmique ou métaphysique, et propose dès lors une politique de la paix pour tous, c’est-à-dire celle d’un seul État reconnaissant l’égalité et la justice à chacun. La simplicité frappante du lexique revendicatif ne doit pourtant pas tromper. La question palestinienne est un cas rare d’une lutte nationale dont les tenants – les Palestiniens – ont une meilleure lucidité quant à la situation historique que l’ensemble des commentateurs, soutiens comme adversaires. Les mots de Fareed Taamallah ne portent ni sur la souillure religieuse, ni sur la reconstruction d’un Temple espérée comme voie de restauration du Royaume d’Israël. Ils décrivent placidement l’accaparement des terres, le vol de l’eau et la colonisation rampante de la Cisjordanie qui, non contente d’empêcher effectivement la « solution à deux États », soit cette formule creuse par laquelle les chancelleries occidentales et arabes affectent d’être encore attachées à un règlement juste de la question palestinienne, dessinent la réalité terrible d’une population ayant autorité institutionnelle – jusqu’au droit de vie et de mort – sur l’autre.

L’entretien est au fond une description par le menu des pratiques, des politiques et des lois qui s’appliquent à la vie quotidienne des Palestiniens de Cisjordanie, comme une véritable radiographie de la séparation opérée par le pouvoir israélien entre la vie des siens et celle des autres, nuisibles et que l’on souhaiterait voir partir (Fareed nous transmet ainsi un édifiant tract que lui ont jeté des habitants de la colonie voisine). Loin de la voix de « la rue arabe » qui se mobilise pour le Palestinien et délaisse la vie du Syrien, loin des manifestants hiérarchisant les vies humaines et les causes politiques, Fareed insiste sur une situation réelle, la sienne, dénuée des projections et transferts qu’opèrent les uns et autres.

Cette connaissance incorporée – Fareed dit « sur ma peau » – des pratiques coloniales est hélas simultanément la conscience d’une impasse. Fareed rappelle d’ailleurs que « ni la guerre ni la paix n’ont permis une résolution avec Israël ». Cette histoire de guerre et de paix est transmise d’une génération à l’autre comme un savoir pratique et non comme un slogan. Elle implique dès lors le rejet d’Israël, puisque cet État se révèle incapable de dépasser la geste nationaliste de ses débuts. Mais elle ménage la possibilité de la politique, c’est à dire de définir des rapports réglés et justes avec les Israéliens, lesquels partagent de facto avec la société palestinienne un même pays. Fareed appartient à cette génération qui croit encore en la solution d'un seul État pour tous, avec une vision socialiste et séculière fondée sur le respect des différences et un traitement égalitaire des religions et des communautés. Cette modération lui permet de compter des amis non seulement parmi les soutiens extérieurs, mais d’abord parmi les différentes communautés à l’intérieur de la Palestine-Israël. Fareed dit encore : « Le problème fondamental demeure l'occupation (…) La solution doit être politique, ni militaire, ni sécuritaire ». Une leçon doit être retenue de cet entretien : la lutte des Palestiniens ne désespère pas de la paix, comme elle ne se soumet pas à la guerre.
Tract distribué par les colons israéliens aux habitants palestiniens de la Cisjordanie, après le 7 Octobre, document transmis par Fareed Taamallah


"Vous avez voulu la guerre, attendez-vous à la Nakba primordiale.

Aux populations de l'ennemi dans la Cisjordanie juive. A l'organisation de tueurs daechienne et satanique Hamas, qui corrompt la terre, vous avez commis la plus grande des erreurs historiques en nous déclarant la guerre et en égorgeant des enfants et des personnes âgées, en déchirant le ventre des femmes enceintes, en prenant en otages les nourrissons et les vieux, en violant les femmes.

Vous avez voulu une Nakba comparable à celle de 1948. Par Dieu, nous allons faire descendre la plus grande des catastrophes sur vous, bientôt. Ceci est votre dernière chance pour fuir de manière ordonnée en Jordanie, après cela nous allons tuer tout ennemi et nous allons vous expulser avec force de la terre sainte que nous a donnée Dieu et qu'il nous a ordonné de ne jamais abandonner, quoiqu'il arrive, pour que se réalise la gracieuse prophétie de notre Seigneur en récompense de notre patience avec vous.

Emportez ce que vous pouvez emporter et fuyez par où vous êtes venus, nous arrivons."
Pour commencer, pouvez-vous présenter ?

Je suis journaliste, activiste politique et environnemental, et agriculteur résidant à Ramallah en Cisjordanie. J'ai également une ferme entre Ramallah et Naplouse, ce qui fait bien de moi un agriculteur. Je viens d'un village appelé Qira, situé entre Naplouse et Ramallah en Cisjordanie, et je vous parle maintenant depuis ce village où je passe mes week-ends. Nous sommes actuellement en train de récolter les olives car c'est la saison de la récolte en Palestine. Je suis père de quatre enfants, l'un d'entre eux a voyagé pour étudier aux États-Unis et nous attendons son retour après avoir terminé ses études, tandis que le reste de ma famille se trouve dans la ville de Ramallah.

Quelles sont les circonstances pour vous depuis le 7 octobre, et comment vivez-vous la guerre à Gaza ? Qu'est-ce qui a changé en Cisjordanie depuis cette date ?

Je ne veux pas commencer notre conversation à partir du 7 octobre. Le 7 octobre n'est pas le début de notre histoire. C'était un jour où, ponctuellement, il y a eu un acte de guerre significatif contre Israël. Mais généralement en Europe et en Occident, les discussions sur la situation font comme si l'histoire avait commencé le 7 octobre. Ce n'est pas vrai. L'histoire a commencé 75 ans avant, lorsque l’Etat israélien a occupé la terre de Palestine, a déplacé le peuple palestinien et l'a dispersé et rendu démuni à travers le monde. Nous, les Palestiniens, souffrons depuis lors de l’exil, du massacre et du siège, y compris les territoires palestiniens perdus en 1948 pendant la Nakba, et depuis 1967 pour la Cisjordanie et Gaza où nous subissons l'oppression militaire israélienne directe.

Je fais partie de ceux qui sont nés et ont grandi sous l'occupation. Je n'ai pas vécu dans un pays ou une société qui jouit de la liberté. Depuis mon plus jeune âge, j'ai été témoin de l'oppression israélienne. Lors de la première intifada, alors que je n'étais qu'un enfant, j'ai été détenu par les Israéliens, et j'étais encore un enfant quand ils m'ont battu, torturé et humilié. J'ai également été témoin de la seconde intifada lorsque Israël a détruit et envahi toutes les villes palestiniennes, comme Ramallah, Hébron, Djénine, Naplouse et Gaza. Ils ont détruit les maisons palestiniennes en Cisjordanie et assassiné feu le président Yasser Arafat. Je vis à Ramallah et je suis originaire d'un village, dont la plupart des terres se trouvent en Zone C, ce qui signifie qu'Israël a une autorité totale sur cette zone, à la fois du point de vue de la sécurité et de l'administration. Mon village de résidence relève quant à lui de la Zone B. Les Palestiniens de cette zone sont responsables des services civils, mais la sécurité est contrôlée par les autorités israéliennes. Mon village est entouré de colonies israéliennes, et la situation en Zone C est très compliqué pour nous, Palestiniens.

En Cisjordanie, nous sommes confrontés à un problème fondamental, qui est l'expansion des colonies qui grignotent progressivement nos terres. Un autre problème tout aussi important est la restriction de notre mouvement et de notre liberté de voyager d'une ville à l'autre. En Cisjordanie, nous avons environ 450 centres de peuplement palestiniens, en comptant les camps de réfugiés, les villages et les villes, et chacune de ces communautés est sous le contrôle complet d'Israël. Il y a des portes contrôlées par l’armée israélienne à l'entrée de chaque village. Dans notre village, il y a une porte israélienne. Lorsqu’ils le souhaitent, ils la ferment et nous sommes alors enfermés dans notre propre village. Lorsqu'ils le souhaitent, ils ouvrent les portes pour nous permettre de nous déplacer dans les limites qu'ils autorisent. En même temps, le nombre de colons a augmenté en Cisjordanie, atteignant 700 000 colons, soit trois fois le nombre depuis les accords d'Oslo, et ils continuent à s'étendre.

En Cisjordanie, il n'y a pas de présence du Hamas. Or, Israël prétend que Gaza équivaut Hamas, et que ce dernier est équivalent à Al-Qaïda et à l'État islamique, etc. En Cisjordanie, nous vivons sous le contrôle du Fatah et de l'autorité palestinienne qui ont des accords de paix avec Israël. Malgré cela, Israël continue ses activités de colonisation, et les colons attaquent les villages. Il y a deux jours, les colons ont attaqué des agriculteurs palestiniens alors qu'ils récoltaient des olives, tuant quatre agriculteurs dans le village voisin de Qusra et blessant une vingtaine sous la protection de l'armée israélienne. L'armée israélienne est toujours présente aux côtés des colons, en supposant que les colons ne sont pas eux-mêmes une partie de l’armée. De fait, les colons sont comme une armée civile. Vous devez savoir que chaque habitant d'Israël est un soldat de réserve, ce qui signifie qu'ils sont formés et armés. En sus de ça, il y a une présence militaire israélienne pour protéger les colons. L'armée n'intervient que lorsque les Palestiniens résistent aux colons, à ce moment-là, ils interviennent en ouvrant le feu, en arrêtant des personnes et en les tuant. Cela se produit tous les jours.

L'année dernière, avant les opérations du Hamas et avant le 7 octobre, les colons sont entrés dans notre village à la veille de la récolte des olives et ont attaqué nos maisons avec des pierres, ont brisé des voitures et des fenêtres, et ont écrit sur les murs : « Dégagez d'ici ! », « Vous n'êtes pas les bienvenus », « C'est la terre d'Israël », « Judée et Samarie », « Vous êtes des intrus », « Nous vous tuerons ». Tout cela s'est passé il y a un an, avant l'attaque du Hamas. Hier, les colons ont distribué des tracts nous menaçant, prétendant que c'est aujourd'hui une deuxième Nakba pour nous, Palestiniens. Ils nous présentent comme des envahisseurs de la terre d'Israël. Ils nous distribuent des tracts et nous menacent de nous tuer.

Le sujet n'est pas le 7 octobre. Le sujet n'est pas le Hamas. Le 7 octobre a été une opportunité pour nous arrêter et mettre en œuvre plus intensément une politique qui précède cette date, mais qui demeurait relativement dissimulée par crainte de la réaction de la communauté internationale ou arabe. Maintenant, Israël s'est libéré de ces contraintes et met en œuvre un plan élaboré depuis des décennies, à travers la politique de colonisation. Ils exécuterons ce plan en quelques jours au lieu de plusieurs années.

Je veux juste ajouter qu'avant le 7 octobre 2023, Israël avait tué plus de 250 Palestiniens en Cisjordanie en 2023. Après le 7 octobre jusqu'à présent, ils en ont tué 150. Je parle ici uniquement de la Cisjordanie, pas de Gaza. Les Israéliens tuent des centaines de Palestiniens chaque année en Cisjordanie, qui est sous le contrôle de l'Autorité palestinienne liée à Israël par des accords de paix. Ils exploitent notre désir de paix pour construire des colonies et tuer des colons. En Cisjordanie, nous ne sommes pas autorisés à porter des armes. Pas un couteau en tant que Palestiniens. Alors que les colons sont armés. La semaine dernière, Israël a distribué encore plus d'armes aux colons et a formé des milices avec une licence de tuer. Chaque colon a une licence. Vous souvenez-vous de James Bond que le cinéma occidental nous présentait sur nos écrans ? Il en va de même avec les colons : ils ont une licence pour tuer. Un colon a le droit de me tuer chez moi sans punition ni procès. Ils exploitent ce qui se passe à Gaza en disant que le Hamas est Daesh, ce qui n'est pas vrai car le Hamas est un mouvement palestinien. Supposons cependant que le Hamas soit terroriste comme Daesh, pourquoi les Israéliens commettent-ils des actes brutaux et violents en Cisjordanie alors que nous n'avons pas d'armes et n'utilisons que la résistance pacifique, que nous cultivons notre terre ?

Savez-vous qu'il existe une loi de l'époque de l'Empire ottoman, datant de 1859, qui dit qu'un agriculteur qui n'a pas cultivé sa terre pendant 10 ans, l'État peut s'en emparer. Les Israéliens, après 170 ans, continuent d'utiliser cette loi contre nous et saisissent des terres légalement si nous ne les cultivons pas. Donc, si je ne cultive pas ma terre que j'ai héritée de mon père et de mon grand-père, et que je la laisse pour une raison quelconque comme voyager à l'étranger, ils saisissent la terre légalement, sans parler des autres confiscations par la force.

Nous essayons de résister en Cisjordanie de manière pacifique, et nous pensions que les négociations et la paix aboutiraient avec les Israéliens, mais il est clair que ni la paix, ni la guerre, ni la communauté internationale ne permettent de mettre fin à l’occupation. Ils ont un plan à long terme pour vider la Palestine de ses habitants et implanter des colons isréaliens, indépendamment de la présence du Hamas. Jusqu'en 1987, il n'y avait pas de Hamas. Il a commencé après cette date, 20 ans après la 67, et 40 ans après la Nakba.

J'ai une question concernant les rencontres avec les colons. Vous avez dit qu'ils ont le droit de tuer, comment se passent les rencontres avec eux au quotidien en Cisjordanie ?

La relation entre nous et les colons est celle d'une personne qui occupe ma terre et se voit comme étant de rang supérieur à moi. Je suis sous occupation devant lui. Il n'y a pas de relation basée sur l'amitié. Ils nous voient, nous Palestiniens, comme étant inférieurs, tandis qu'eux se voient comme étant des maîtres. Par conséquent, la relation avec les colons israéliens dans les zones occupées est soit une relation où un soldat à un poste de contrôle me donne des ordres : "Arrêtez, marchez, sortez de la voiture, levez vos vêtements, etc." Il me donne des ordres et je dois les suivre sans discuter. Ou bien il y a la relation avec un colon qui vole ma terre, mes oliviers, mes ressources en eau, et attaque mon village et m'agresse. C'est une relation d'occupant envers quelqu'un sous occupation, ou une relation de gardien envers un prisonnier, de maître à sujet. Il n'y a pas de relation quotidienne, il n'y a pas d'amitié, il n'y a pas de relation humaine ou de connaissance. Il y a un homme armé qui contrôle ma terre, ma maison, mes enfants, les rues et tout le pays. Même à la frontière, en tant que Palestinien, je ne peux pas quitter la Cisjordanie sans la permission d'Israël, je dois passer par eux. Je n'ai pas d'aéroport. Pour aller en Europe, je dois passer par la Jordanie. Pour aller à Gaza, je dois passer les frontières et obtenir la permission d'Israël. De la Cisjordanie, Gaza est à seulement 60 kilomètres de moi à Ramallah. Mais pour y aller, j'ai besoin d'une autorisation militaire israélienne, ou je dois passer par la Jordanie, puis prendre l'avion vers Le Caire, puis conduire pendant 7 heures jusqu'à arriver à Gaza. La relation entre nous et Israël est une relation de prisonnier avec son gardien. C'est donc une relation hostile en premier lieu. Ils ne veulent pas de genre de relation amicale. En fin de compte, notre simple présence ici est une épine dans leur pied. Le simple fait d'être ici, même si je ne fais que vivre ici, élever mes enfants ici, cultiver ma terre et récolter les olives que je possède, est indésirable pour eux. Ce qu'ils ont distribué hier dans les tracts confirme cette vue. Que nous résistions ou non, nous sommes indésirables pour eux.

Mais ce que je veux vous assurer, c'est que le peuple palestinien ne quittera pas cette terre. Nous avons appris de la Nakba de 1948 et de la Naksa de 1967 que tout Palestinien qui quitte sa terre ne pourra jamais y retourner. Nous préférons mourir sur notre terre plutôt que de la quitter. Nous ne voulons évidemment pas mourir. Ce que nous souhaitons, c'est vivre sur notre terre. Et nous espérons ne pas mourir. Les Israéliens nous décrivent comme ne tenant pas à nos enfants, que nous envoyons nos enfants à la mort, ou que nous ne nous soucions pas des enfants qui meurent. Ils nous dépeignent comme étant d'une nature différente, comme des êtres humains sans les mêmes sentiments. Mais nous avons les mêmes sentiments et aspirations que ceux qui vivent en Occident. C’est notre situation sous occupation qui ne nous permet pas le luxe de la tristesse, de pleurer et d’exprimer haut notre peine. Car nous sommes condamnés à disparaître dès que nous montrons un peu de faiblesse. Par conséquent, nous nous soutenons mutuellement comme Palestiniens.

Donc, lorsque nous perdons un martyr, nous allons consoler la famille du martyr, non pas parce que nous sommes heureux, mais parce que nous devons nous renforcer mutuellement. Nous nous sentons unis, main dans la main. Nous leur disons que ce martyr ira au paradis. Nous essayons de nous convaincre de patience et de la persévérance. Nous ne nous réjouissons pas de la mort, nous n'aimons pas la mort, nous ne voulons pas que nos enfants deviennent des combattants tuant les autres. Mais cette situation nous est imposée.

Les colons en Cisjordanie, ont-ils le droit d'entrer dans les villes et villages palestiniens ? D'accéder aux marchés ? De faire du commerce ? Et dans le même contexte, un Palestinien a-t-il le droit d'entrer dans une colonie pour le commerce ou pour former une association ? Une autre question, les colonies sont-elles exclusivement peuplées de colons juifs, ou y a-t-il des colons d'autres religions venant d'autres pays ? Des Russes orthodoxes ? Des musulmans ?

Nous, les Palestiniens, et les Israéliens des colonies, vivons dans une même région géographique mais dans deux mondes différents. Les colons vivent dans des villes fortifiées avec des barbelés et des caméras de surveillance. Ces villes ressemblent à l'Europe en termes de construction et d'aménagement urbain, et même les plantes qu'ils cultivent ne sont pas celles que l'on trouve en Palestine, mais des plantes importées d'Europe. Nous cultivons des oliviers, des amandiers, des figuiers et des chênes, tandis qu'ils cultivent des choses que je ne connais pas. Nous vivons dans deux mondes différents, et nos relations avec les colonies israéliennes sont très limitées. Ils nous interdisent l'accès à leurs colonies, alors que ces colonies ont été construites sur nos terres. Les colonies sont toujours situées à quelques mètres de nous. Ils nous interdisent catégoriquement l'entrée, et si nous essayons de le faire, nous risquons d'être tués facilement. En revanche, les colons sont autorisés à entrer dans nos villes et villages. Ils peuvent venir en voiture dans notre village sans aucune restriction. De plus, les lois qui s'appliquent aux colons diffèrent complètement de celles appliquées à nous, les Palestiniens. Par exemple, si un Palestinien tue un Israélien de la colonie pour une raison ou une autre, le Palestinien sera tué par l'armée israélienne. Ensuite, ils détruiront toutes les maisons de sa famille, y compris celles de ses proches, grands-parents, oncles et tantes. Ensuite, ils imposeront des sanctions sur tout le village auquel il appartient. Il s'agit de sanctions collectives.

Cependant, s'il s'avère qu'un Israélien a tué un Palestinien, ce qui arrive très souvent - il y a chaque jour des martyrs tués froidement par des colons - alors rien ne se passe. Ils ne ferment pas la colonie, ils ne tuent pas l'agresseur, ils n'arrêtent pas le meurtrier ni sa famille. Si le meurtre est documenté par une vidéo et que les preuves sont indiscutables, la peine infligée à l'assassin est généralement une peine de travail d'intérêt général de six mois ou un an au maximum. Ils ne le font pas de manière arbitraire, mais en se fondant sur leurs propres lois. Les lois sont sacrées pour les Israéliens. Mais les lois appliquées à eux sont les lois civiles israéliennes, tandis que nous, les Palestiniens, qui vivons à côté d'eux, sommes soumis à des lois militaires.

D'un autre côté, il y a la question de l'eau qu'ils volent de nos terres. La Cisjordanie est pleine d'eau. Il pleut environ 670 mm par an à Ramallah, soit plus que Londres qui reçoit environ 650 mm de pluie par an. Cela signifie qu'en théorie, nous n'avons pas de problème d'eau. Mais, en tant que Palestinien, en été, je n'ai de l'eau à la maison qu'une fois par semaine. Peut-être que vous viendrez visiter la Palestine et la première chose qui vous frappera lors de votre visite sera la présence de réservoirs d'eau sur les toits de nos maisons. La plupart des maisons et des bâtiments à Ramallah ont des réservoirs d'eau. C'est parce que l'eau nous est fournie une fois par semaine, et nous sommes obligés de la stocker pour ne pas mourir de soif. En même temps, la colonie voisine est pleine de piscines, de champs bien irrigués et de jardins, ils n'ont jamais de pénurie d'eau. Les colons consomment 600 litres d'eau par jour, alors que les Palestiniens n'en consomment que 70 litres. Et tout cela dans la même zone géographique. Lorsque vous discutez de la question de l'eau, on vous dit que c'est une crise mondiale de l'eau. Mais c'est une erreur, car ce n'est pas une crise de l'eau pour nous : Israël vend de l'eau à la Jordanie, mais il nous coupe l'eau en tant que Palestiniens pour la donner aux colons. Nous souffrons en tant que fermiers palestiniens. Lorsque l'eau est rare, son prix devient élevé, et nous ne pouvons pas cultiver de la même manière que nous le souhaitons ou comme ils le font dans les colonies.

Lorsque nous cultivons, le coût d'un kilogramme de tomates, par exemple, est beaucoup plus élevé que celui des tomates qu'ils produisent. Par conséquent, ils nous privent de concurrence saine. En tant que fermiers palestiniens, nous n'avons pas les mêmes ressources que les colons. Le Palestinien attend chaque année la saison de la récolte des olives, et ils viennent deux jours avant le début de la saison pour brûler nos arbres, les couper, et parfois voler notre récolte. J'ai un ami qui a planté un grand champ de blé en décembre, et il a attendu comme d'habitude six mois pour qu'il mûrisse, et une semaine avant la récolte, ils sont venus et ont brûlé le champ.
Tout le travail du fermier et le prêt de la banque ont été perdus. Donc, la solution pour lui est de se débarrasser du fardeau de la terre : il va travailler en Israël.

Le Palestinien est enchaîné, car travailler en Israël nécessite un permis, et ce permis exige de ne pas soutenir la résistance. Même parler de la résistance pacifique. Je suis interdit de permis parce que je parle maintenant de la résistance pacifique. Je suis juste un journaliste, appelant au boycott d'Israël et à la résistance pacifique, et affirmant que nous ne devons pas accepter qu'Israël existe aux dépens de nous. Pour obtenir un permis de travail en Israël, il faut être neutre. Et ce n'est pas seulement pour un individu, mais aussi pour ses frères, qui ne pourront pas non plus obtenir de permis, ainsi que toute la famille élargie. Par conséquent, les agriculteurs sont obligés de quitter leurs terres et de devenir des travailleurs sous la coupe de l'employeur israélien, et notre sécurité alimentaire est en danger, parce que notre production de blé et de tomates a beaucoup diminué. Nous n'avons pas une production suffisante pour répondre à nos besoins en tant que Palestiniens, et nous devenons des travailleurs en Israël qui décide qui a le droit d'entrer et de travailler.

Cette réalité concerne-t-elle le droit d’aller travailler en Israël, c'est-à-dire dans les frontières de 1948, ou les colonies ?

Les deux. Le Palestinien n'a pas d'autres options de travail. Nous n'avons pas d'usines comme en Israël, ni de fermes de la même ampleur que celles qui se trouvent en Israël. Nous avons quelques fermes, mais elles sont rares. Par conséquent, travailler dans la colonie construite sur notre terre ou à l'intérieur de la Ligne Verte, nous oblige à obtenir des permis qui nécessitent que nous soyons neutres. En hébreu, on les appelle "Nakim", c'est-à-dire "propres" pour eux, ce qui signifie que vous ne devez pas soutenir la résistance pacifique, ni même en parler. Je suis interdit de permis car je parle actuellement de la résistance pacifique. Je suis juste un journaliste, appelant au boycott d'Israël et à sa résistance pacifique, et affirmant que nous ne devons pas accepter qu'Israël existe aux dépens de nous. Donc, en tant que Palestinien, il n'y a pas d'autres options de travail que de travailler dans le marché israélien. Il en va de même pour les agriculteurs. Lorsque les terres sont confisquées ou en raison de problèmes de concurrence et de faibles revenus, ils préfèrent aller travailler en Israël dans l'agriculture, devenant ainsi à la merci des Israéliens.

Tous les produits alimentaires à Ramallah proviennent-ils d'Israël ?

Non, bien sûr. Il est vrai qu'ils exercent une pression de toute sorte mais, jusqu'à présent, nous produisons plusieurs choses, en particulier dans le domaine de l'agriculture. La Palestine possède des terres fertiles et de l'eau. Malgré toutes les entraves que je vous ai décrites, nous avons une certaine autosuffisance en légumes, par exemple. Nous avons également quelques usines produisant des produits laitiers. Le problème se pose avec la production de fruits que nous achetons habituellement soit d'Israël, soit de l'étranger. Il est vrai que nous consommons des produits israéliens, mais parce qu'il n'est pas possible de boycotter tout. Je fais partie de la campagne de boycott, et nous menons des recherches et des études dans ce domaine, en particulier des statistiques sur le marché palestinien. Nous constatons qu'il existe cinq biens essentiels qui ne peuvent être obtenus qu'en Israël, car il n'y a pas d'autres solutions. Ces biens sont l'électricité, l'eau, le carburant (c'est-à-dire le diesel et l'essence), le ciment et l'acier. Nous n'avons pas de possibilités d'importation, donc nous achetons en Israël.

Mis à part cela, les autres biens ont soit une production en Palestine, comme les produits laitiers et les légumes, soit des alternatives en provenance de pays arabes, notamment l'Égypte, la Jordanie et l'Arabie saoudite, à partir desquels nous importons. Cependant, le problème fondamental qui entrave l'économie palestinienne est l'absence de protection : la Palestine n'a pas de frontières contrôlées. Il n'y a pas de douanes palestiniennes. Nous et Israël avons une seule enveloppe douanière. Donc, si je veux, en tant que Palestinien, importer de l'huile d'un endroit comme Bruxelles, je ne peux pas le faire en tant que Palestinien. Cela doit passer par les ports et les frontières israéliens par l'intermédiaire d'une entreprise israélienne. De même, si je veux exporter de l'huile d'olive vers Bruxelles, je dois créer une entreprise palestinienne et conclure un contrat avec une entreprise israélienne, qui prend une part des bénéfices, pour exporter cette huile.

Notre présence sous l'enveloppe douanière israélienne a aussi pour conséquence l'absence de protection pour les agriculteurs ou les producteurs palestiniens, car Israël inonde le marché palestinien de ses produits, rendant les produits palestiniens, qu'ils soient agricoles ou industriels, non protégés de la concurrence israélienne. La deuxième conséquence de cette enveloppe douanière unique est le coût élevé. Le revenu moyen des Palestiniens est beaucoup plus bas que le revenu israélien, et pourtant nous sommes soumis aux mêmes taxes israéliennes en ce qui concerne les prix. Imaginez que le prix de l'essence en Palestine dépasse deux dollars américains par litre, soit le même prix qu'en Israël. Le prix israélien est le même qu'en Europe. Nous payons donc le même coût que les Israéliens pour l'essence, la farine, le pain et les tomates. La pauvreté est très élevée en Palestine car le revenu ne peut pas couvrir le coût de la vie. Ce dernier est au niveau européen, tandis que le revenu est proche de celui de la Jordanie. Cela entraîne une grande pauvreté.

Et les colons continuent par-dessus cela à voler nos terres. Sur le chemin de Ramallah à mon village, vous trouvez une nouvelle colonie chaque année. Les colonies se multiplient comme des champignons. Auparavant, il y avait un ordre militaire du gouverneur militaire israélien indiquant que ces terres deviendraient une zone militaire fermée où les Palestiniens ne sont pas autorisés à entrer. Ensuite, elles sont confisquées en tant que terres d'État et une colonie y est construite, où seuls les colons sont autorisés à vivre et à entrer. La dernière tendance dans le monde de la colonisation cette année : ils annoncent que les terres qu'ils ont choisies seront des pâturages et les Palestiniens ne sont pas autorisés à entrer. Nous leur répondons que nous, les Palestiniens, avons des moutons, pourquoi ne pourrions-nous pas utiliser cette terre pour le pâturage ? La réponse est un refus. Ces vastes espaces sont donnés aux colons. En Cisjordanie, chaque jour, j'ai l'impression que le pays rétrécit pour nous. La zone que je parcours est devenue étroite et plus petite qu'auparavant. L'espace me permettant de me déplacer est très limité, et chaque jour, il l’est plus qu'hier. Je ne peux pas parcourir 20 kilomètres sans passer par des points de contrôle. Jérusalem est à 10 kilomètres de Ramallah, et je ne suis pas autorisé à y entrer. La mosquée Al-Aqsa est à 17 kilomètres de chez moi, et je ne peux pas y aller du tout car il y a des murs et des barrières israéliennes. Chaque jour, le pays rétrécit pour nous, et l'espace ne nous permet plus d'y vivre.

Si nous résistons, nous sommes considérés comme des terroristes. Si nous ne résistons pas, ils continuent à prendre nos terres. Si nous allons négocier avec eux, ils se moquent de nous et prennent ce qu'ils veulent. Si nous nous engageons dans une résistance pacifique, ils nous accusent d'être antisémites et de haïr les Juifs. Ils évoquent la question de l'Holocauste pour légitimer notre malheur. Mais quelle est notre relation historique en tant que Palestiniens avec l'Holocauste européen ?
L'Holocauste s'est produit en Europe, et ce sont les Européens qui ont persécuté les Juifs et les ont conduits aux fours crématoires. Alors, quelle est notre relation en tant que Palestiniens à cela ? Au contraire, nous sommes les victimes des victimes. Ils les ont tués en Europe et les ont ensuite envoyés chez nous, tout en nous imposant le silence, même s'ils ont pris nos terres. Comment pouvons-nous vivre avec eux alors qu'ils volent notre terre ? Bien sûr, j'ai tout le respect et la solidarité avec les victimes de l'Holocauste en Europe. Je suis totalement horrifié par les crimes de l'Holocauste. C'est un crime absolument injuste commis par les gouvernements européens. Je n'ai aucun problème avec les Juifs. Je n'ai aucun problème avec les Juifs. J’ai un problème avec les partisans de la colonisation et de la politique israélienne. Mes amis les plus chers aux États-Unis sont juifs, et ils me rendent souvent visite ici en Palestine. J'ai aussi des amis juifs de Tel Aviv, qui sont opposants et critiques du sionisme. Ils viennent chez moi de Tel Aviv, séjournent chez moi et m'aident pendant la saison des olives. Je n'ai aucun problème avec les Juifs. Mon problème est avec les occupants. Ils ont occupé notre terre.

Y a-t-il actuellement des Juifs palestiniens vivant dans les zones relevant de l'autorité palestinienne ?

Oui, il y a une minorité juive, les Samaritains. Ils vivent au cœur de la ville de Naplouse. Ce sont des Palestiniens comme nous. Ils parlent arabe, un dialecte de Naplouse même. Ils ont l'identité palestinienne, des droits et des devoirs comme nous. J'ai des amis parmi eux. Lors de la fête de l'anniversaire juif, je vais chez eux et leur souhaite un joyeux anniversaire. La même chose se produit lors de Yom Kippour. Ils viennent aussi chez moi. Nous n'avons aucun problème avec les Juifs. La même chose s'applique aux Juifs européens et américains. Pour répéter, les gens ici n'ont pas de problème avec les Juifs. Le problème réside dans l'occupant. Que l'occupant soit juif, musulman, chrétien ou athée, il peut être combattu.

Vous avez parlé de l'impasse où ni la guerre ni la négociation n'ont apporté de solution à la situation. Alors, si nous prenons le 7 octobre et tout ce qui s'est passé après, quelles solutions sont aujourd’hui envisageables ?

À mon avis, lorsque nous avons un problème, nous devons rechercher ses racines, pas seulement ses manifestations. La cause fondamentale du problème est l'occupation. Cette question n'est pas une question de Juifs ou de Musulmans, bien que certains essaient de la présenter comme un problème religieux, ce n'est pas du tout religieux. La question est l'occupation de terres en Cisjordanie.
Le problème est politique et sa solution est politique, pas militaire ni sécuritaire. Tant qu'ils continuent d'occuper notre terre et de pratiquer la colonisation, ils doivent accepter de vivre dans un État unique avec les mêmes droits et responsabilités que nous. Dans ce cas bienvenue à eux. La solution, en tant que Palestinien - bien que certains Palestiniens préconisent la solution des deux États, ce avec quoi je ne suis pas d'accord - pour moi, c'est une seule nation démocratique entre le fleuve et la mer, laïque pour tous les citoyens qui y vivent, quelle que soit leur religion. La religion n'a pas d'importance ici, comme en Afrique du Sud, où tous les citoyens, qu'ils soient noirs ou blancs, juifs ou chrétiens, doivent avoir les mêmes droits et devoirs.

L'important est d'avoir un parlement élu par tous. Un État démocratique unique qui inclut tout le monde. La solution des deux États n'est plus possible, car les Israéliens ont occupé toute la Cisjordanie. Qui peut dessiner aujourd'hui une carte de l'État de Palestine ? Personne ne peut le faire, car nous sommes maintenant comme du fromage suisse, la carte serait pleine de trous. Entre moi et le colon, il y a quelques mètres. Où et comment l'État palestinien peut-il exister dans ces circonstances ? Mais si vous demandez à un Palestinien de l'Autorité, il vous dira "la solution à deux États". Et de même, la solution présentée dans la communauté internationale est la solution à deux États. Pour moi, je suis en désaccord : il doit y avoir un seul État, et les réfugiés palestiniens doivent y retourner, avec le droit pour ceux qui veulent rester ici de le faire, qu'ils soient juifs, musulmans ou chrétiens, avec les mêmes droits et devoirs.

Pourquoi, à votre avis, la direction palestinienne refuse-t-elle de défendre cette proposition ?

L'Autorité palestinienne est liée par des accords à Israël. Lorsqu'ils sont entrés dans les négociations de paix en 1991, ils sont entrés sur la base de la solution des deux États et des résolutions internationales, notamment la résolution 242 et d'autres dispositions qui confirment cette solution. C'est pourquoi l'Autorité palestinienne s'y engage toujours, tout comme le mouvement Fatah, qui est convaincu de cela, du principe que si Israël a son État, alors nous devons avoir le nôtre. C'est le discours qu'Abou Mazen répète toujours, en plus de la négociation pour résoudre la question des réfugiés.

Comment le mouvement politique peut-il fonctionner actuellement en Cisjordanie, étant donné que l'Autorité entretient des relations sécuritaires avec Israël et surveille sans doute les Palestiniens ?

Il existe ce qu'ils appellent une "coordination de la sécurité". Selon les accords d'Oslo, si un Palestinien tue un Israélien et s'échappe dans une zone sous l'autorité palestinienne, cette dernière doit soit le juger et l'emprisonner, soit le livrer à Israël. Il y a donc une coordination. Cependant, il faut noter que l'Autorité n'est pas populaire chez les palestiniens. Il n'y a pas eu d'élections de l'Autorité palestinienne depuis longtemps. Nous avons élu notre dernier président il y a 17 ans. La question de l'Autorité palestinienne reste complexe. Mais sa coordination avec Israël ne la favorise pas auprès des palestiniens, car la Cisjordanie n'est pas stable en ce moment. Les Israéliens entrent tous les jours et attaquent.

Ma maison est près de la maison d'Abou Mazen à Ramallah, nous sommes voisins, et nous voyons chaque jour les attaques israéliennes dans notre quartier. J'habite près de la zone C, et l'armée israélienne entre profondément à Ramallah. Les bonnes relations entre l'Autorité palestinienne et les organes de sécurité officiels avec Israël n'empêchent pas les Israéliens d'entrer chez nous et de tuer des Palestiniens. Les Israéliens ne cherchent pas l'amitié, ils veulent que vous travailliez sous leur direction, et si vous ne le faites pas, vous êtes leur ennemi. Ils ne veulent pas une relation amicale ou une coexistence pacifique. Ils veulent que nous soyons leurs esclaves, leurs subordonnés. Ils sont les maîtres, et nous, les esclaves. Ils sont les occupants, et nous, les Palestiniens, nous devons conformer à ce qu'Israël nous dicte. Toute chose contraire signifie que nous sommes des terroristes, et Israël a le droit de nous tuer, de nous expulser en Jordanie ou de nous emprisonner.

Lorsque le mouvement a commencé dans le quartier de Cheikh Jarrah en 2021, nous avons remarqué pour la première fois depuis la deuxième Intifada un mouvement social relativement indépendant des factions politiques bien connues en Palestine. Y a-t-il de nouveaux mouvements et de nouvelles formes de lutte en Cisjordanie détachées des organisations de la représentation classiques ?

Ce n’est pas la question des factions et des organisations. En tant que Palestiniens, même avant 1948, soit depuis les années 1930, nous avons résisté à la colonisation par différents groupes et modes d’organisation. Lorsque la révolte a éclaté en 1987, elle a commencé avec des pierres. Même les enfants résistaient à l'occupant. Les Israéliens sont venus et nous ont brisé les mains et ont violemment réprimés les manifestants. Il est vrai qu'auparavant, dans les années 1980, il y avait eu des mouvements de résistance armée en Palestine, au Liban, en Tunisie et en Jordanie. Cependant, en Cisjordanie, nous avons résisté sans armes, seulement avec des pierres. Ils nous ont dit au début des années 1990 de mettre de côté les pierres et de participer au processus de paix. Nous les avons suivis. Cependant, ils se sont moqués de nous, ont renversé la table des négociations et ont continué à voler des terres pendant les négociations, ce qui a rendu la vie très difficile en Cisjordanie. En 2000, la deuxième Intifada a donc commencé.

Cela signifie que les Palestiniens ont suivi cette voie avec laquelle nous pouvons être en désaccord ou que nous pouvons rejeter, mais c'est une tentative de se libérer de la colonisation. Bien sûr, la réponse a été très violente, avec la destruction complète des villes palestiniennes, comme ils le font aujourd'hui à Gaza. En 2002, ils ont détruit les villes de Ramallah, Jénine et d’autres. Ensuite, est venu Abu Mazen, qui est très différent d’Abu Ammar (Yasser Arafat). Abu Mazen vous dit qu'il est en faveur de la paix, car c'est la seule option stratégique selon lui et son mouvement. Il a entamé des négociations avec Israël depuis 2005 en tant que président, mais il n'a pas obtenu un centimètre de terre pour nous. C'est ainsi que des formes de résistance, comme celles de Sheikh Jarrah, ont émergé.

À côté de cela, il y a eu les actions ponctuelles violentes. Les Israéliens les ont qualifiées de "loups solitaires" car ils ne sont pas affiliés à des partis politiques. Cela signifie qu'un jeune peut se réveiller le matin et décider de faire une opération de martyre. Comment pouvez-vous les arrêter lorsque vous avez 5 millions de Palestiniens ? C'est ainsi que sont nées les intifadades couteaux, en 2015, 2016 et 2021 à Jérusalem et en Cisjordanie, ainsi que des cycles de combats et des bombardements sur Gaza de temps en temps. Mais le résultat est qu'Israël nous a réprimés et détruits pendant toute cette période. La résistance pacifique est également réprimée de manière sévère par Israël. Je fais partie des partisans de la résistance pacifique, comme les manifestations, par exemple, nous ne voulons pas de victimes du côté israélien ni du côté palestinien. Cependant, chaque fois qu'il y a une manifestation, elle est réprimée, des gaz lacrymogènes et des balles réelles sont tirés sur les manifestants. Nous n'avons pas d'armes en Cisjordanie, contrairement à Gaza, et pourtant les Israéliens nous tuent. La situation s'est fortement détériorée après le 7 octobre. Les Palestiniens n'ont pas tiré un seul coup de feu depuis le 7 octobre en Cisjordanie jusqu'à aujourd'hui. Malgré cela, plus de 100 personnes sont mortes en Cisjordanie, et un grand nombre de détenus ont été faits sans procès – sous le régime de la détention administative – par les Israéliens, dont deux ont été tués dans les prisons la semaine dernière sous la torture. Le monde n'accorde aucune valeur à nos détenus, aux morts et aux Palestiniens en général. Ils ne se soucient pas des Palestiniens déplacés et des enfants tués jour et nuit. Nos vies ne sont pas importantes comparées aux Israéliens pour qui le monde s'est ému le 7 octobre.

Nous, les Palestiniens, ressentons un grand sentiment de trahison et de complicité. Une trahison de la part du monde arabe et une complicité de la part du monde occidental avec Israël. Nous avons l'impression que l'Occident, en particulier l'Europe et les États-Unis, fait partie de cette agression. Il y a des bombes, des navires de guerre et des avions américains, et même des combattants américains sur le terrain. Il y a un porte-avion dirigé vers Gaza : c'est terrifiant. Ils ont complètement perdu la tête. Ils font partie de l'agression. La même chose s'applique à l'Europe occidentale, en particulier la France, la Grande-Bretagne, l'Allemagne et l'Italie. Bien sûr, je ne parle pas des peuples, mais des gouvernements. En Palestine, nous suivons et observons quotidiennement les manifestations qui ont lieu dans le monde arabe, en Europe, en Amérique, en Asie et en Amérique latine, ainsi qu'en Afrique du Sud, et nous apprécions énormément ces foules qui sortent pour la liberté et la paix en Palestine. Mais la plupart des gouvernements occidentaux sont complices, et nous sommes dégoûtés lorsque nous voyons les médias occidentaux nous traiter de manière inhumaine. Pourquoi pensent-ils que la souffrance des Israéliens est plus importante que la nôtre ? Pourquoi la vie d'un Israélien est-elle plus précieuse pour eux que celle d'un Palestinien ? Je me sens humilié lorsque je regarde CNN, par exemple, ou la BBC. Ils nous traitent de manière inhumaine. Ils prônent la démocratie et les droits de l'homme tout en nous soumettant à des normes différenciées. Lorsqu'il s'agit des Ukrainiens, ils ont résisté à la Russie, et je suis en faveur de la résistance contre la Russie qui a envahi l'Ukraine. La différence réside dans le fait que l'Occident considère les Ukrainiens comme des héros qui résistent à l'occupation. En ce qui concerne les Palestiniens, on nous considère comme des terroristes. On nous réduit au silence, même sur les réseaux sociaux, où le contenu palestinien est censuré. Ces réseaux qui étaient notre exutoire en remplacement des médias auxquels nous n'avons pas accès sont maintenant de moins en moins libres.

Certains estiment que les habitants de la Cisjordanie pourraient être amenés à participer à la résistance armée si l'agression se poursuit et s'intensifie. Est-ce une option envisageable dans les prochains jours?

En Cisjordanie, il n'y a pas d'armes, et s'il y en a, elles sont détenues par des combattants que je ne connais pas. Le commerce des armes est interdit chez nous. Si un Israélien voit un Palestinien armé, il le tuera, même s'il n'est pas un combattant. Quant aux armes sous la responsabilité de l'Autorité palestinienne, je ne pense pas que le gouvernement palestinien dirigera ces armes contre Israël. Selon ma compréhension et ma connaissance de la situation, je ne m'attends pas à cela, du moins pour l'instant. Je ne pense pas que le gouvernement demandera aux forces de sécurité palestiniennes de protéger les gens contre l'armée israélienne. Cela a déjà été tenté par Abu Ammar en 2000, 2001 et 2002, mais cela a eu un coût élevé. Abu Ammar a été assassiné en raison de son soutien à la résistance, et les villes palestiniennes ainsi que toutes les agences gouvernementales ont été détruites entre 2000 et 2004. Vous vous souvenez même du siège du quartier général de l'Autorité où se trouvait Abu Ammar. Ils l'ont assiégé dans son bureau pendant plus de six mois, l'ont empoisonné et l'ont finalement tué. Je ne pense pas qu'Abu Mazen suivra la même voie qu’Abu Ammar.

Ce qui est sûr, c'est que nous, les Palestiniens, ne sommes pas vaincus. Nous ne nous sentons pas vaincus malgré notre situation difficile. Cette situation ne signifie pas que nous avons abandonné. Nous sommes présents sur cette terre et nous résistons à l'occupation de toutes les manières possibles. Continuer à aller dans les champs d'oliviers, à cultiver la terre, et à élever mes enfants pour aimer leur pays et ne pas penser à émigrer de ce pays est en soi une forme de résistance que je considère comme telle. Nous ne sommes pas vaincus. Il est vrai qu'aujourd'hui, il y a une profonde tristesse en nous et une appréhension de l'avenir, mais cela ne signifie pas que nous avons été vaincus. Je suis inquiet parce que je veux que mes enfants aient une vie meilleure, mais je ne suis pas résigné. Ce qui nous réconforte, ce sont les peuples du monde qui se solidarisent avec nous, ce qui renforce notre moral et nos espoirs. Notre espoir repose sur les peuples du monde. Les manifestations nous donnent l'espoir qu'un jour la communauté internationale nous aidera. Cette même communauté qui a fait naître Israël, doit nous aider à nous débarrasser de son occupation. Les Etats qui arment Israël et contribuent à notre meurtre porte une grande responsabilité, mais ce qui nous réconforte, c'est que les peuples européens, arabes et américains sont un baume qui guérit nos blessures. La mobilisation de 250 000 Londoniens pour la Palestine ne mettra pas fin aux bombardements ni ne nous restituera nos terres, mais elle nous donne l'espoir que quelqu'un se soucie de nous. Nous reprochons fortement aux gouvernements arabes de ne pas prendre position face à l'armement d'Israël et à son soutien occidental. Encore une fois, les peuples arabes et du monde nous soutiennent, et nous espérons que ce soutien se traduira par des politiques de la part des gouvernements occidentaux qui prétendent être démocratiques et reflèter la volonté de leurs peuples.

En Israël, y a-t-il une main tendue de la part de groupes politiques envers les Palestiniens ? Y a-t-il une résistance possible en Israël même, ainsi qu'en Cisjordanie ?

Il y a une résistance armée à Naplouse et Jénine, telle que la Fosse aux Lions et d'autres. Cependant, ce sont des groupes qu'Israël a éliminés lorsqu'ils étaient isolés en Cisjordanie il y a quelques mois, et ils ont intensifié le meurtre de centaines de combattants à Jénine et Naplouse. Ils ont éliminé la Fosse aux Lions, la Brigade de Naplouse, la Brigade de Qalqilya, la Brigade de Tulkarem et la Brigade d'Arriha. Ils les ont arrêtés tôt, bien avant le 7 octobre.

Quant à votre question sur Israël, l'opposition là-bas est en concurrence avec le gouvernement pour voir qui opprime le peuple palestinien le plus. Il n'y a plus de faction de gauche et de paix en Israël. L'opposition parlementaire est entièrement du côté du gouvernement. Lorsque le chef de l'opposition, Yaïr Lapid, critique Netanyahu, il le fait en l'accusant de ne pas avoir fait suffisamment pour tuer les Palestiniens. Depuis longtemps, les Israéliens ne prêtent aucune importance à la question palestinienne ni aux droits des Palestiniens. Récemment, ils étaient absorbés par des questions de réforme juridique et de lois intérieures, tandis que la question des Palestiniens et de leurs droits était reléguée au second plan.

Avant le 7 octobre, les Israéliens étaient convaincus que les Palestiniens étaient vaincus, et l'accent était mis sur la poursuite de la normalisation avec les pays arabes ayant accepté l'accord. Il est vrai que ce qui s'est passé le 7 octobre a rétabli la question palestinienne sur la table, comme s'il disait aux Arabes, aux Israéliens et au monde : "Où allez-vous ? Il y a toujours un peuple palestinien occupé, et ses droits sont opprimés." Comment les Arabes peuvent-ils normaliser et faire la paix avec Israël alors que nous sommes toujours sous occupation ? Comme si la question palestinienne avait été résolue. Non, la question n'a pas été résolue.

Permettez-moi de citer pour la première fois Abu Mazen (Mahmoud Abbas), malgré nos profondes divergences. Un jour, Abu Mazen a déclaré aux Nations Unies en septembre : "Celui qui croit qu'il peut y avoir la paix dans le monde sans que les Palestiniens obtiennent leurs droits se trompe." Et je répète cette phrase : "C'est une grande illusion que de croire en une au Moyen-Orient sans que nous obtenions nos droits.". Comment les Israéliens agissent-ils face à une génération entière qui a vu et vécu les bombardements israéliens et la brutalité israélienne dans sa propre chair ? Nous parlons d'une nouvelle génération qui a vu toutes les injustices et les crimes commis par Israël. Pensez-vous que les enfants que vous voyez à la télévision, ceux qui ont perdu leurs familles, pourront un jour réaliser la paix avec Israël sans obtenir leurs droits ? Ceux qui ont mené les opérations le 7 octobre ont vécu le siège imposé à Gaza depuis 2007. Seize ans de siège. Les jeunes qui ont mené ces opérations étaient dans la vingtaine. Tous ont grandi sous l'occupation israélienne. Tous ont des proches, victimes des bombardements en 2006, 2007, 2014, 2015, 2018 et 2021. Je parie que 90 % des combattants qui sont entrés dans les colonies israéliennes et ont tué et capturé des Israéliens ont perdu leurs pères, leurs frères, ont été déplacés et ont survécu après la destruction de leurs maisons.

Plus les Israéliens commettent de crimes, plus une génération naît avec détermination, colère et volonté de résister aux occupants. En 2014, l'armée israélienne a détruit la moitié de Gaza. Aujourd'hui, ce sont leurs enfants et leurs frères qui ont mené les opérations du 7 octobre. Cela doit être enregistré dans cette interview pour l'histoire : il y a maintenant une nouvelle génération qui a vu, entendu et vécu toutes ces atrocités israéliennes, et elle ne restera pas les bras croisés demain. Je dis ce que je dis avec regret et amertume. Cela ne réjouit ni n'enchante personne. Je veux que mon peuple vive en paix, et je souhaite que le monde entier vive en paix. Mais ils sèment la haine et la rancune chez nos enfants.

Malheureusement, la situation dans laquelle nous nous trouvons implique qu'ils nous tuent et que nous les tuions. Cette situation ne se terminera que par une solution :Les Palestiniens doivent obtenir leurs droits. Il doit y avoir la paix en Palestine, sinon il n'y aura pas de paix au Moyen-Orient ni dans le monde. Le calme ne reviendra pas et nous ne cesserons de résister tant que nous n'aurons pas obtenu nos droits, et j'espère que nous les obtiendrons par la paix.

N'y a-t-il pas aujourd'hui une idée en Israël d'expulser les Palestiniens, en particulier de Gaza?

L'idée de l'expulsion existe. Et il ne faut pas croire que l'expulsion est une réponse au 7 octobre. C'est une idée qui a toujours existé du côté israélien. Aujourd'hui, une opportunité favorable s'est présentée pour accélérer le processus. Ils pourraient nous expulser comme Netanyahu le souhaite vers les pays voisins, mais tout ce que souhaite Netanyahu ne se réalisera pas. Il y a un peuple ici. Il y a une communauté internationale composée de personnes libres, et il y a un monde arabe. Nous savons que si Gaza est vaincue et que les Palestiniens sont vaincus, la région et le monde arabe seront secoués. Au cœur de la question palestinienne, il y a des enjeux qui animent des conflits dans le monde, pas seulement au Moyen-Orient.

Je vous demande d'imaginer une hypothèse où le gouvernement israélien n'appartient pas à l'extrême droite. Par exemple, un gouvernement socialiste ou de gauche radicale aurait-il pu entraîner un autre destin pour la question palestinienne?

Où est la gauche en Israël aujourd'hui ? Le parti travailliste n'a pas de sièges au Parlement. Peut-être que la gauche était active dans les années soixante-dix. Aujourd'hui, les partis de gauche ne parviennent pas à atteindre un seuil de représentation légale au Parlement. Le nombre de sièges obtenus par les partis de gauche lors des dernières élections étaient insignifiant. Et honnêtement, en ce qui concerne les questions de la sécurité, il n'y a pas de différence entre la droite et la gauche en Israël. Il est vrai que des visions de gauche et de droite existent à l'intérieur d'Israël concernant des questions telles que la démocratie, l'économie, le système judiciaire, la liberté d'expression, etc. Cependant, sur la question palestinienne, cet aspect est absent.

Je mets dans cette case des mouvements comme Refuznik, les opposants de la conscription obligatoire , et d'autres mouvements pour la paix et contre la colonisation.

Bien sûr. Si vous faites référence aux mouvements en dehors des partis politiques, c'est une autre question. Ceux qui refusent le service militaire en Israël sont en dehors du système et ne font pas partie de l'appareil politique israélien ni des partis représentés à la Knesset. En effet, ils refusent de participer aux crimes commis contre les Palestiniens, et je les respecte énormément, vraiment. J'ai des amis parmi eux. Mais malheureusement, leur nombre est limité. Ils ne représentent pas une menace pour la politique israélienne jusqu'à présent. Cependant, ils œuvrent pour un avenir différent : de nombreux Israéliens ont commencé à refuser le service militaire en raison des réformes judiciaires qui ont eu lieu avant le 7 octobre. Leur nombre est élevé par rapport à ceux qui refusent pour des raisons de conscience. Oui, en tant que Palestiniens, nous les respectons énormément, et leur voix est très importante malgré leur petit nombre. Car ils montrent au public israélien qu'il y a des crimes commis par les Israéliens. Mais à présent, aucune voix ne s'élève en Israël dans ce sens. Entre les partis, les divergences politiques ont été mises de côté, et ils se sont unis contre le peuple palestinien au moment des opérations contre Gaza.

Dans le cadre de la réflexion politique et du renouvellement des discours politiques sur la question palestinienne, quels conseils pourriez-vous donner à Mahmoud Abbas ? Si vous étiez à sa place, que feriez-vous politiquement dans cette situation et face aux contraintes qui limitent la résistance aujourd’hui ?

À mon avis, la première chose est l'unité palestinienne. Certes, ce que fait Israël, en termes de massacres et d'occupation, dépasse la volonté de Mahmoud Abbas. Mais il y a des questions que le président Abbas peut gérer, comme l'unité nationale palestinienne, la réparation des divisions intérieures, les libertés, la protection des Palestiniens, la protection des agriculteurs, etc. Cependant, dans le contexte actuel, toutes ces questions sont désormais en suspens. Je pense que la chose la plus importante qu'Abbas doit faire aujourd'hui en urgence est de rompre les accords avec Israël. L'Autorité palestinienne doit rompre ces accord, même s’il faut qu’Abbas quitte la Palestine occupée pour retourner en Tunisie, en Jordanie ou ailleurs, où il aurait plus de liberté pour agir.

Les crimes commis par Israël à Gaza ne permettent pas qu'un Palestinien ait des liens avec Israël aujourd'hui. Tous les accords signés doivent être annulés. Je pense également que l'Autorité palestinienne devrait se dissoudre et que ses membres devraient s’exiler pour former un gouvernement en exil. Un gouvernement d'unité nationale avec le Hamas et avec des organisations palestiniennes de gauche opposées. Il faut sortir de la terre occupée. L'Autorité palestinienne ne peut pas actuellement entreprendre d'actions ni même participer à la résistance. Elle ne peut pas non plus former un gouvernement d'unité nationale avec le Hamas en Cisjordanie, car Israël ne le permettra pas. Par conséquent, je pense qu'il est nécessaire pour Mahmoud Abbas de quitter la Palestine et de travailler avec toutes les factions pour créer un gouvernement qui œuvrerait de l'extérieur sur des questions d'État, comme exposer les crimes de l'occupation et faire pression sur Israël auprès des Nations Unies et des organisations internationales. D'autre part, cette entité gouvernementale devrait mobiliser les États arabes et la communauté internationale pour qu'ils assument leurs responsabilités. Les Arabes ne doivent pas rester les bras croisés, bien que l'Autorité palestinienne soit maintenant en charge de la question.

Et si l'Autorité palestinienne ne fait rien, pourquoi demander à l'Égypte d'agir ? Pourquoi demander à la Jordanie d'agir avant l'Autorité palestinienne ? L'Autorité doit se dissoudre et sortir du pays pour diriger le travail à l'extérieur de la Palestine : et je n'entends pas nécessairement par cela des opérations militaires, mais plutôt de définir une nouvelle stratégie pour les Palestiniens en ce qui concerne la résistance. Une nouvelle approche de la façon dont chaque Palestinien doit traiter cette question. Cette entité gouvernementale devrait également mettre en face de leurs responsabilités les pays arabes et la communauté internationale. Les Arabes ne peuvent pas rester à l'écart. Et il est vrai qu'Israël a été créé par le soutien des européens. Ils ont fait la promesse de Balfour, et ils ont contribué à soutenir le mouvement sioniste en Palestine. Ils doivent alors assumer leurs responsabilités. Nous n'avons pas de temps à perdre, car à chaque instant, les Palestiniens meurent. Donc, il est temps de passer à l'action, et pas seulement à la discussion.
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